En matière de sûreté aéroportuaire, les personnes ayant accès notamment aux zones de sûreté à accès réglementé des aérodromes doivent être habilitées par l'autorité administrative compétente (C. Transp., L6242-3).
Processus d’habilitation après enquête administrative
A cet effet, la loi prévoit que la délivrance de cette habilitation est précédée d'une enquête administrative donnant lieu à consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et des traitements automatisés de données à caractère personnel de police et de gendarmerie nationales (à l'exception des fichiers d'identification).
La demande incombe à l’employeur de l’agent soumis à habilitation, si besoin préalablement à l’embauche.
La décision relève de la compétence administrative du Préfet exerçant les pouvoirs de police sur l'aérodrome lorsque l'entreprise est située sur l’emprise de celui-ci, ou par le préfet territorialement compétent dans les autres cas (Préfet de police pour Paris).
L'habilitation, lorsqu’elle est délivrée, est valable sur l'ensemble du territoire national pour une durée maximale de 5 ans.
Une fois délivrée, elle peut être retirée ou suspendue par cette même autorité administrative, lorsque la moralité ou le comportement de la personne titulaire de cette habilitation ne présente pas les garanties requises au regard de la sûreté de l'Etat, de la sécurité publique, de la sécurité des personnes, de l'ordre public ou qu’ils s’avèrent incompatibles avec l'exercice d'une activité dans les zones de sûreté à accès réglementé des aérodromes, dans les lieux de préparation et stockage des approvisionnements de bord, ou des expéditions de fret ou de courrier postal sécurisées et devant être acheminées par voie aérienne, ainsi que dans certaines installations (C. Av. Civ., R213-3-1).
L'habilitation peut par ailleurs être immédiatement suspendue en cas d’urgence, pour une durée maximale d'un mois (reconductible une fois au cas où les circonstances l'exigent).
La question qui se pose typiquement est celle de l’impact d’une telle mesure administrative sur la relation de travail.
Position de la jurisprudence en cas de rupture contractuelle pour retrait d’habilitation
En l’absence de précision dans les textes ci-dessus, la jurisprudence vient d’apporter certaines réponses.
Par un arrêt rendu au double visa des articles L1231-1et L1235-1 du Code du travail, elle considère que la rupture est justifiée dès lors qu’il est établi que le retrait du titre d’accès à une zone sécurisée rend impossible l’exécution du contrat de travail par le salarié et qu’aucune obligation légale ou conventionnelle de reclassement ne pèse sur l’employeur (Cass. Soc. 28 novembre 2018, n° 17-13199).
Les faits remontaient à l’année 2012 ; après avoir été informé par le Préfet que l’un de ses salariés, employé en qualité de technicien révision moteurs en zone réservée de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle s’était vu retirer son habilitation d’accès à cette zone, l’employeur avait procédé à la rupture de son contrat de travail à durée in déterminée, sans préavis ni indemnités, se fondant sur l’exception d’inexécution des obligations contractuelles en cas de force majeure (cf. C. Civ., art . 1148 anc.), ainsi que sur l’existence d’une clause contractuelle de résiliation de plein droit du contrat de travail dans une telle circonstance.
Arguments rejetés par les juges du fond en appel, qui ont analysé la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, en considérant que l’employeur aurait dû, dans un tel contexte, rechercher de manière sérieuse et loyale un autre poste compatible avec les capacités de l’intéressé, et le procéder à son licenciement en bonne et due forme à défaut de proposition de reclassement ou en cas de refus du salarié.
Analyse censurée par la Cour de cassation : « (…) Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le retrait du titre d’accès à une zone sécurisée rendait impossible l’exécution du contrat de travail par le salarié et que, dans de telles circonstances, aucune obligation légale ou conventionnelle de reclassement ne pèse sur l’employeur, la cour d’appel a violé les textes susvisés (…) ».
Dans ce prolongement, elle casse également la décision d’appel qui avait condamné l’employeur à verser une indemnité compensatrice de préavis : « (…) qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que le salarié était, du fait du retrait de l’habilitation préfectorale, dans l’impossibilité d’effectuer son préavis, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations (…) ».
Portée de la solution
Cette décision peut donner à penser que la possibilité de procéder à la résiliation automatique du contrat de travail en tant que mode de rupture autonome serait validée dans une telle hypothèse de refus/retrait administratif d’habilitation.
Sans doute convient-il d’être très prudent sur ce point, sachant que la jurisprudence est hostile aux modes de rupture « exotiques » venant déroger au droit commun du licenciement, en-dehors des cas prévus par la loi (ex : rupture conventionnelle, etc.).
Il convient d’observer d’ailleurs que si le salarié était protégé au titre d’un mandat représentatif, il serait exclu de pouvoir procéder ainsi sans autorisation spéciale de licenciement délivrée par l’Inspecteur du travail, qui de toute évidence s’attacherait à vérifier les diligences accomplies en termes de recherches de reclassement.
En fait, la problématique à laquelle vient ici répondre la Cour de cassation porte uniquement sur l’existence ou non d’une l’obligation de reclassement susceptible de faire « dégénérer » la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour le reste, il appartiendra à la Cour d’appel de renvoi de trancher de nouveau le fond de l’affaire …
En tout état de cause, cette solution paraît assez inédite alors qu’habituellement, la bonne foi contractuelle constitue un point d’ancrage très fort de la jurisprudence sociale.
L’explication donnée repose ici sur l’absence d’obligation de recherche de reclassement, d’origine légale ou conventionnelle.
Cela est-il transposable aux activités visées aux articles L114-1 et R114-1 et suivants du Code de la Sécurité intérieure, pour lesquelles des enquêtes administratives (SNEAS) sont prévues ?
La question se pose dans la mesure où ces textes ne prévoient pas d’obligation de réaffectation ou de reclassement d’un salarié relevant du droit privé dont le comportement serait considéré comme incompatible avec les exigences de sûreté liées à la mission, contrairement aux fonctionnaires et aux agents contractuels de droit public.
La prudence semble néanmoins de mise avant d’envisager la rupture du contrat de travail, même si cette décision vient jeter le doute.
Pour les enquêtes administratives concernant certains personnels dans les entreprises de transport public de personnes ou de transport de marchandises dangereuses, il n’existe pas de discussion en revanche puisque la loi prévoit une procédure de reclassement préalable au bénéfice du salarié, régie par les articles L114-2 et R114-7 et suivants du Code de la Sécurité intérieure.
L’employeur doit néanmoins se montrer vigilant car l’avis administratif d’incompatibilité ne constitue pas une condamnation judiciaire, et sa légalité peut toujours être contestée pour des raisons de fond et/ou de forme (cf. en ce sens un récent jugement du Tribunal administratif de Paris du 31 janvier 2019).
Dans le secteur des transports publics de personnes et de marchandises dangereuses, il est d’ailleurs prévu à des fins de sécurisation procédurale, qu’en cas d’impossibilité de reclassement, « la procédure de licenciement prévue au 7ème alinéa de l'article L114-2 ne peut être engagée avant l'expiration du délai de recours contentieux prévu au 9ème alinéa de cet article, prolongé, le cas échéant, en cas de recours administratif. Elle ne peut non plus être engagée, en cas de recours administratif, tant que la décision du ministre de l'intérieur n'est pas intervenue ou, en cas de recours contentieux contre le résultat de l'enquête ou contre la décision de rejet du recours administratif, tant qu'il n'a pas été statué en dernier ressort sur le litige. Le ministre de l'intérieur informe l’employeur, le cas échéant, sans délai, du recours administratif ou contentieux effectué par le salarié ainsi que des suites qui lui sont données. »
En pratique, il n’en reste pas moins que ces considérations juridiques seront certainement mises en balance avec les intérêts supérieurs de l’entreprise et le niveau d’aversion au risque de ses dirigeants.
Cass. Soc. 28 novembre 2018, n° 17-13.199