La perquisition civile ou "perquisition article 145", en référence à l'article 145 du Code de procédure civile, peut être pratiquée dans de multiples situations.
Particulièrement utile lorsqu'une entreprise souhaite établir des actes de concurrence déloyale, elle lui permet de se ménager la preuve des faits qu'elle suspecte, dans l'éventualité d'un litige futur.
L'article 145 dispose en effet que, "s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instructions légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé".
Cet article auquel les praticiens ne se réfèrent pas assez permet donc à un juge d'autoriser une société à mandater un huissier de justice pour qu'il se déplace au siège de la société "suspecte" afin de saisir tous les documents (factures, courriels, contrats, etc.) qui permettraient de prouver, par exemple, son comportement commercial déloyal envers la société qui a sollicité la mesure.
Dans un contexte économique très concurrentiel, où les sociétés adoptent une attitude commerciale toujours plus agressive envers les concurrents, le recours à cette procédure est de plus en plus fréquent.
Qu'il s'agisse d'en être à l'origine ou de s'en défendre, il est utile d'en connaître le mode d’emploi.
Comment actionner une perquisition civile ?
La procédure de l'article 145 peut s'avérer précieuse dans de nombreuses situations.
Elle peut, par exemple, être mise en oeuvre par une entreprise constatant le départ massif de ses salariés vers un concurrent ; ce qui, pour rappel, n'est pas en soi constitutif d'un débauchage déloyal susceptible d'être sanctionné.
L'entreprise requérante pourra en effet obtenir du juge l'autorisation de procéder à la saisie des courriels qui auraient été échangés entre l'entreprise concurrente et ses salariés afin de vérifier si les moyens employés pour ces recrutements sont conformes à la loi.
- Une procédure efficace
La perquisition civile peut tout aussi bien être lancée par une société craignant que l'un de ses distributeurs agréés ne revende ses produits hors de son réseau de distribution sélective.
Dans ce cas, l'entreprise pourra se voir autorisée, sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, à mandater un huissier qui se saisira de tous les documents et factures permettant une vérification exhaustive des ventes opérées sur la marchandise concernée.
Ainsi, les courriels saisis, d'une part, ou les contrats, d'autre part, seront des moyens de preuve déterminants devant le juge, qui devra se prononcer sur l'existence ou non d'un comportement anticoncurrentiel ou contraire à des dispositions contractuelles.
- Les conditions d'une requête réussie
Le juge (dans la plupart des cas, le président du tribunal de commerce du lieu où la mesure sera exécutée) est le plus souvent saisi par voie de requête et statue par voie d'ordonnance, à la suite d'un débat non contradictoire.
Cela signifie qu'il n'entendra que la société en demande qui devra démontrer la réunion d'une série de conditions (d'origines légale et jurisprudentielle) afin de se voir autorisée à pratiquer la saisie :
- cette mesure ne sera pas permise si un procès au fond est déjà existant,
- le juge vérifiera que la société requérante justifie d'un motif légitime pour solliciter une telle mesure, en produisant des pièces à cet effet,
- les faits dont il faut établir la preuve doivent être pertinents (la prétention du requérant ne doit pas être manifestement vouée à l'échec) et crédibles : bien que futur, le litige éventuel doit être plausible,
- la société requérante devra également démontrer la nécessité du recours à une procédure non contradictoire, par exemple en invoquant que la société qui subirait la mesure pourrait détruire les pièces dont elle sollicite la saisie.
En revanche, le risque de dépérissement de la preuve ainsi que l'urgence ne font pas partie des conditions devant être prises en compte par le juge à l'heure de rendre son ordonnance.
Si ces conditions sont cumulativement réunies, un huissier, souvent nommément désigné par le juge, sera autorisé à exécuter la perquisition, dans un délai précisé dans l'ordonnance, au-delà duquel cette dernière devient caduque.
- L'exécution de la saisie
Une fois autorisée, la mesure de saisie est exécutée par un huissier, éventuellement accompagné d'un technicien (par exemple, un informaticien, lorsque la saisie autorisée comporte des fichiers informatiques) et de la force publique, lorsque l'ordonnance le prévoit expressément.
L'huissier pénètre dans les locaux, procède à la notification de l'ordonnance sur laquelle se base son action, et sollicite la remise des documents énumérés par cette dernière.
Après avoir pratiqué la saisie des pièces, il peut, selon les termes de l'ordonnance, les placer sous séquestre dans l'attente d'une décision de justice contradictoire sur leur mainlevée, ou les remettre à la société requérante.
Comment se défendre face à une perquisition ?
Une société perquisitionnée doit savoir comment faire face en connaissant parfaitement le comportement à adopter face à l'huissier faisant irruption dans ses locaux une "ordonnance 145" à la main.
- Se préparer à cette éventualité
Le secret des affaires n'est pas opposable.
Les sociétés qui subissent une perquisition civile sont souvent tentées de solliciter judiciairement la rétractation de la mesure, au motif que celle-ci porterait atteinte au secret des affaires. Malheureusement pour elles, le secret des affaires n'est pas en lui-même opposable à l'application de l'article 145 du Code de procédure civile, dès lors que les mesures ordonnées procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées.
A contrario, la banque qui subirait une telle mesure, notamment pour délivrer des informations relatives à un client, pourra opposer le secret bancaire en justifiant d'un motif légitime à son refus de communication.
Elle sera en revanche impuissante lorsque la demande émane de celui que le secret est censé protéger et qu'elle se rapporte à des informations qui le concernent personnellement.
Réagir correctement à une perquisition civile revient tout d'abord à être conscient de l'existence de cette procédure, et à sensibiliser ses salariés sur le fait qu'aucun document – hormis les communications avec les avocats – n'est a priori insaisissable.
A titre d'exemple, un courriel envoyé pour démarcher un salarié, bien que supprimé, sera dans la plupart des cas toujours techniquement saisissable par un informaticien.
De même, une société ne peut se protéger derrière le secret des affaires pour refuser la communication de documents.
Ainsi, toute société qui serait en délicatesse ou en période de tension avec un partenaire doit se préparer à l'éventualité de voir un huissier sonner à sa porte.
Pour bien se comporter dans cette situation qui peut être déstabilisante, il faut y être préparé. Il est, par exemple, utile de désigner en interne une ou deux personnes référentes chargées d'accompagner l'huissier dans ses démarches.
Ces personnes seront sensibilisées et formées sur l'attitude à adopter.
- Réagir sereinement mais fermement
Face à une perquisition, la société doit réagir sereinement mais fermement.
Premier réflexe : vérifier l'étendue de l'ordonnance et le périmètre d'intervention de l'huissier.
La société a la possibilité de refuser la communication des pièces en invoquant l'absence du représentant et l'absence d'habilitation des autres membres de la société présents à communiquer les pièces sollicitées.
Toutefois, ce refus n'est pas pertinent si la société qui subit la perquisition n'a rien à se reprocher.
Elle devra dans ce cas collaborer autant que possible.
Cette collaboration se révélera en effet extrêmement utile dans le cadre d'un litige futur sur le bien-fondé de la mesure et permettra de soutenir devant un juge que le recours à une procédure non contradictoire n'était absolument pas justifié.
Par ailleurs, la société doit refuser la prise de pièces originales, la saisie des communications avec son avocat, et être attentive à ce que les réserves et/ou observations qu'elle formaliserait soient scrupuleusement actées par l'huissier dans son procès-verbal.
Dès le départ de l'huissier, et en l'absence de séquestre ordonné par le juge, il est fortement recommandé à la société d'écrire à l'huissier pour lui interdire de se dessaisir des pièces jusqu'à ce qu'une décision judiciaire rendue contradictoirement décide de la libération ou non desdites pièces, mais également pour lui adresser les pièces éventuellement promises lors de l'exécution de la mesure.
La société perquisitionnée aura enfin tout intérêt à inclure au courrier adressé à l'huissier de justice un récapitulatif de l'ensemble des remarques et/ou observations formulées lors de l'exécution de la mesure, afin de prévenir l'absence de mentions de ces dernières sur le procès-verbal de l'opération que dressera l'huissier.
- Quels recours judiciaires ?
La perquisition ayant été autorisée de manière non contradictoire, la société qui la subit dispose de recours judiciaires.
Elle peut ainsi solliciter la nullité de la mesure autorisée, notamment dans l'hypothèse où l'huissier a :
- outrepassé sa mission, par exemple en saisissant des documents non mentionnés dans l'ordonnance,
- procédé à une signification irrégulière de l'ordonnance,
- procédé à l'exécution de la mesure postérieurement au délai prévu dans l'ordonnance.
Le plus souvent cependant, la voie ouverte à la société perquisitionnée est celle dite du "référé-rétractation". Il s'agit d'une action judiciaire devant le juge ayant ordonné la mesure afin de voir rétracter l'ordonnance et ainsi interdire à l'adversaire d'utiliser les pièces saisies dans un contentieux ultérieur.
Lors de cette procédure, la société saisie devra faire valoir que les conditions prescrites par l'article 145 du Code de procédure civile n'étaient pas réunies (absence de motif légitime, absence de nécessité du recours à une procédure non contradictoire, etc.).
En cas de rétractation de l'ordonnance, les pièces saisies seront restituées sans délai.
Dans la même instance, l'entreprise perquisitionnée pourra solliciter du juge l'octroi de dommages-intérêts pour procédure abusive, en invoquant que l'arrivée d'un huissier a toujours des effets négatifs, notamment sur les salariés de la société, pour qui la présence d'un huissier est souvent synonyme de culpabilité.