Néanmoins, l’importance prise par ces réseaux professionnels et leur évolution technique, qui permet désormais le partage d’articles, d’informations ou de points de vue professionnels, entraînent un certain nombre de questions pour l’employeur :
- Quelle est la frontière entre le « pro et le perso » ?
- Comment réagir face à un collaborateur qui publie du contenu inapproprié ?
Autant de questions qui peuvent devenir de véritables casse-têtes en l’absence d’anticipation.
- A qui appartient le compte et les contacts sur un réseau professionnel ?
Certains employeurs incitent leurs salariés à développer leur réseau professionnel en ligne (recruteurs, commerciaux, …) voire même financent un compte payant individuel pour chaque salarié afin d’accroître la visibilité de l’entreprise.
Lors de son départ de l’entreprise, se pose alors la question de la propriété du compte du salarié et de ses contacts.
Les Conditions Générales d’Utilisation de LinkedIn apportent un début de réponse (art, 2,2) :
« En ce qui concerne les relations entre vous et autrui (y compris votre employeur), votre compte vous appartient.
Cependant, si vous utilisez des Services achetés pour vous par un tiers (par exemple, un accès Recruiter acheté par votre employeur), l’acheteur du Service a le droit de contrôler les accès audit Service payant et d’obtenir des rapports sur son utilisation, mais il ne dispose d’aucun droit sur votre compte personnel »,
A notre connaissance, aucune décision de justice n’a abordé une telle question en France.
Si l’on se tourne vers l’étranger, un tribunal de première instance de Grande-Bretagne a jugé qu’un consultant en recrutement, dont le profil LinkedIn était payé par l’entreprise, devait « remettre » à son employeur lors de son départ de l’entreprise l’ensemble de ses contacts professionnels et ne pouvait les utiliser dans le cadre de sa nouvelle activité concurrente.
Le Tribunal a donc considéré que le droit d’utiliser les contacts avait été accordé uniquement dans le cadre du contrat de travail (Hays v Ions, 16 avril 2008, [2008] EWHC 745 (Ch)).
Il y aurait donc une distinction à effectuer entre un compte ouvert à la demande de l’entreprise et payé par elle, et un compte ouvert par le salarié (et ce même si l’entreprise l’incite à publier du contenu).
D’autres contentieux ont été tranchés outre atlantique s’agissant de tels réseaux professionnels, notamment concernant la problématique de la « concurrence déloyale ».
Ainsi, le fait d’annoncer à son réseau LinkedIn son départ peut-il constituer un manquement à son obligation de non concurrence?
En 2013, une juridiction américaine a précisé que si cette annonce était réalisée en des termes suffisamment généraux, l’actualisation de son profil par l’ancien salarié ne contrevenait pas à une éventuelle clause de non concurrence.
En France, au-delà de la question des réseaux sociaux, la Haute Juridiction avait déjà jugé que « Le fait pour un salarié " d’aviser une clientèle de son départ et de la création d’une nouvelle société, alors que cette clientèle est libre de choisir l’entreprise avec laquelle elle veut travailler" n’est pas constitutif d’une faute » (Cass. com., 13 mai 1997, n° 95-12.578).
En revanche, si le salarié va au-delà d’une simple information de son réseau et d’une simple actualisation de son profil, il n’en va pas de même.
Ainsi, un tribunal du Minnesota (USA) a considéré qu’une salariée avait violé la clause de non-sollicitation et de non-concurrence qui figurait à son contrat, en postant un message à destination de tous ses contacts LinkedIn, peu après son départ de l’entreprise, dans lequel elle faisait la promotion de sa nouvelle entreprise en proposant ses services.
Le tribunal a estimé que le but du message était d'inciter les membres du réseau LinkedIn à contracter avec son nouvel employeur, caractérisant une violation de la clause de non-sollicitation (Mobile Mini, Inc. v. Vevea, United States District Court, D. Minnesota, 25 juillet 2017, n°17-1684).
En tout état de cause, il nous semble essentiel de prévoir des dispositions permettant d’arbitrer en amont de telles problématiques, via notamment l’insertion d’une clause de non-concurrence prévoyant le sort des contacts professionnels et leur démarchage ou encore une charte informatique mentionnant le sort du compte professionnel du salarié à l’issue du contrat de travail, à la lumière de l’obligation de loyauté attachée au contrat de travail.
- Quand s’arrête la liberté d’expression ?
Sans porter atteinte au droit à la liberté d’expression (art. 10 de la CEDH ou L. 2281-3 du code du travail, ou encore Cass. soc., 27 mars 2013, n°11-19.734), il convient de s’interroger sur les limites pouvant être fixées dans le cadre d’un réseau professionnel sur internet.