La Cour de cassation ouvre la voie à une nouvelle possibilité pour le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (valable également pour le CSE) de désigner un expert sur des questions relatives à la santé, la sécurité et les conditions de travail.
Il est bien connu qu’en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) peut avoir recours à deux types d’expertise : en cas de risque grave ou en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (article L. 4614-12 du Code du travail).
Cette possibilité a été maintenue par les ordonnances « Macron » pour le CSE (article L. 2315-94 du Code du travail).
En ce qui concerne le CSE, les ordonnances ont également donné, de fait, une nouvelle possibilité de recours à une expertise sur la santé, la sécurité et les conditions de travail (SSCT) des salariés.
En effet, l’article L. 2312-27 du Code du travail prévoit que le rapport annuel écrit faisant le bilan de la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail et le programme annuel de prévention (qui constituaient auparavant les deux consultations annuelles du CHSCT) sont désormais inclus dans la consultation portant sur la politique sociale de l’entreprise, qui elle-même peut faire l’objet d’une expertise décidée par le CSE (article L. 2315-91).
Ainsi, cette expertise pourra traiter, au moins partiellement, d’aspects relevant de la Commission santé, sécurité et conditions de travail (SSCT).
Dans son arrêt du 28 juin 2019, la chambre sociale de la Cour de cassation ouvre la voie à une nouvelle forme d’expertise : l’expertise réalisée pour se conformer à une mise en demeure de la DIRECCTE.
Dans cette affaire, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) avait mis en demeure l’employeur de procéder à une évaluation des risques psychosociaux dans l’entreprise avec réalisation d’un diagnostic par un intervenant extérieur à désigner par le CHSCT.
Le 20 juillet 2016, la société a contesté la mise en demeure, par voie de recours hiérarchique, devant le ministère du Travail.
Le CHSCT considérant qu’en raison du silence gardé par ce dernier pendant plus de deux mois (valant décision implicite de rejet), la décision de la DIRECCTE (mise en demeure) était devenue définitive.
Le 27 mars 2017, il a alors désigné un cabinet d’expertise afin de réaliser le diagnostic.
Le 6 avril 2017, l’employeur a assigné le CHSCT ainsi que ses membres devant le président du Tribunal de Grande Instance, demandant à ce dernier d’annuler la délibération du 27 mars 2017.
L’employeur soutenait en premier lieu que l’absence de décision du ministère valait acceptation du recours contre la mise en demeure et que la désignation de l’expert reposant sur l’injonction n’avait plus lieu d’être.
En second lieu, il considérait que l’expertise ne pouvait être votée par le CHSCT que dans les cas prévus par l’article L. 4614-12 du Code du travail, en cas de risque grave ou de projet important et qu’ainsi le comité ne justifiait pas le risque grave.
Le Tribunal de grande instance a rejeté la demande de l’employeur en retenant d’une part que l’absence de réponse du ministère du Travail valait rejet implicite de la contestation de la mise en demeure et, d’autre part que le CHSCT n’avait pas décidé de l’expertise sur le fondement de l’article L. 4614-12 du Code du travail mais conformément à la mise en demeure du 27 juin 2016, de sorte que l’argument de l’employeur visant à contester l’existence d’un risque grave ne pouvait prospérer.
L’employeur a alors formé un pourvoi en cassation. Deux points principaux étaient soumis à la haute juridiction :
- Sur les conséquences de l’absence de réponse du ministère du travail à la contestation de la mise en demeure faite par l’employeur,
- Sur la possibilité pour le CHSCT de désigner un expert en dehors du projet important et du risque grave.
Sur les conséquences de l’absence de réponse du ministère du travail à la contestation de la mise en demeure faite par l’employeur.
- Les conditions de validité de la mise en demeure.
La mise en demeure de la DIRECCTE s’appuyait sur l’article L. 4721-1du code du travail qui dispose que :
« Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, sur le rapport de l’agent de contrôle de l’inspection du travail mentionné à l’article L. 8112-1 constatant une situation dangereuse, peut mettre en demeure l’employeur de prendre toutes mesures utiles pour y remédier, si ce constat résulte :
1° D’un non-respect par l’employeur des principes généraux de prévention prévus par les articles L. 4121-1 à L. 4121-5 et L. 4522-1 ;
2° D’une infraction à l’obligation générale de santé et de sécurité résultant des dispositions de l’article L. 4221-1. ».
Il résulte de cet article que la DIRECCTE est fondée à mettre en demeure l’employeur de prendre toutes les mesures utiles pour remédier à une situation dangereuse lorsqu’il ne satisfait pas à son obligation de sécurité.
Cela dote l’inspection du travail et la DIRECCTE d’un réel pouvoir pour agir en protection de la santé, de la sécurité et des conditions de travail des salariés.
Cet article et surtout l’application qui peut en être faite sont révélateurs des évolutions du code du travail.
Alors que les droits des salariés régressent globalement au profit du pouvoir de direction de l’employeur, les obligations de ce dernier en matière de santé et de sécurité, découlant des principes généraux de la prévention, restent une « épine dans le pied » du patronat qui permet dans certains cas d’inverser la tendance.
- L’absence de réponse du ministère du travail, pendant plus de 2 mois, au recours de l’employeur vaut rejet implicite de la demande d’annulation de la mise en demeure.
L’employeur dispose de 3 recours possibles contre cette mise en demeure :
- recours auprès de la DIRECCTE dans un délai de 15 jours à compter de la date de mise en demeure (Article R. 4723-1 du Code du travail),
- recours hiérarchique de droit commun auprès du ministère du travail (délai 2 mois),
- recours contentieux devant le Tribunal administratif (délai 2 mois).
L’article R. 4723-3 du Code du travail impose au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, lorsqu’il est saisi d’une demande d’annulation de la mise en demeure, de statuer dans un délai de 21 jours, délai qui peut être prorogé une fois pour la même durée lorsque les nécessités de l’instruction de la réclamation l’exigent.
La non-communication à l’employeur de la décision de la DIRECCTE dans ces délais vaut acceptation du recours (article R. 4723-3 du code du travail).
En l’espèce, l’employeur se prévalait de cette dernière disposition pour dire que l’absence de réponse du ministère du travail dans le délai de 21 jours (éventuellement prolongé de 21 j) valait acceptation de son recours et annulation de la mise en demeure.
Le recours de l’employeur avait pourtant été formé devant le ministère du travail et non devant la DIRECCTE, de sorte que la Cour de cassation, confirmant la décision de première instance, a rejeté cette argumentation car lorsque l’employeur exerce un recours devant le ministre chargé du travail, en l’absence de disposition législative ou réglementaire spécifique (contrairement au recours formé auprès de la DIRECCTE), c’est le droit commun administratif, et plus précisément l’article L. 231-4, 2° du code des relations entre le public et l’administration, qui doit s’appliquer, à savoir le principe selon lequel le silence gardé pendant plus de deux mois vaut décision implicite de rejet du recours.
Ainsi, la Cour de cassation affirme que l’absence de réponse du ministère du travail pendant plus de 2 mois vaut rejet implicite de la demande d’annulation de la mise en demeure formée par l’employeur.
La mise en demeure étant devenue définitive, le diagnostic sur les RPS par un intervenant extérieur à désigner par le CHSCT pouvait être réalisé.
Sur la possibilité pour le CHSCT de désigner un expert en dehors du projet important et du risque grave.
- Lorsque l’expertise est fondée sur la mise en demeure de la DIRECCTE de réaliser une expertise, la délibération adoptée par le CHSCT ou le CSE n’a pas à mentionner le risque grave.
L’employeur considérait que le CHSCT pouvait désigner un expert à l’unique condition que cette désignation réponde aux conditions visées à l’article L. 4614-12 du code du travail (expertise en cas de risque grave ou en cas de projet important).
Ainsi, selon l’entreprise, en l’absence de risque grave, la délibération ayant désigné l’expert devait être annulée.
Cette position visant à se demander si le CHSCT avait démontré l’existence d’un risque grave aurait été logique si le comité avait fondé sa délibération sur l’article L. 4614-12 du code du travail.
Cependant, la Cour de Cassation, comme l’avait fait le TGI auparavant, s’est attachée à rechercher sur quel fondement l’expert avait été réellement désigné.
C’est après avoir procéder à cette recherche que la Cour de cassation a rejeté les arguments de l’employeur, constatant que le recours à l’expertise n’avait pas été voté sur le fondement de l’article L. 4614-12 du code du travail mais pour répondre à l’injonction de la DIRECCTE, et que le comité n’avait donc pas l’obligation de d’établir l’existence d’un risque grave.
La mise en demeure, étant devenue définitive après le rejet implicite de la contestation par le ministère, et en l’absence de recours contentieux administratif (un recours devant le Tribunal Administratif aurait été possible dans un délai de deux mois à la suite du rejet implicite), rien ne s’opposait à ce que le CHSCT désigne l’expert.
Ainsi, dans cette affaire, ce n’est pas le CHSCT qui avait décidé de l’expertise, mais la DIRECCTE à travers sa mise en demeure de procéder « à une évaluation des risques psychosociaux dans l’entreprise avec réalisation d’un diagnostic par un intervenant extérieur à désigner par le CHSCT ».
Cette mise en demeure étant une décision administrative, le bienfondé de l’expertise ne pouvait être examiné, à travers un recours administratif, que par la DIRRECTE elle-même (le seul recours qui a un effet suspensif de la mise en demeure – article L. 4723-1 du code du travail), par le ministère du travail (recours hiérarchique) ou par le Tribunal administratif (recours contentieux), la saisine de ce dernier étant également possible à l’issue des deux premières possibilités de recours ou directement dans les deux mois suivant la mise en demeure.
- Une décision qui appellera d’autres dénouements de la jurisprudence.
Enfin, si cette décision ouvre la voie à une nouvelle possibilité pour le CHSCT ou le CSE de désigner un expert, des questions restent en suspens.
En premier lieu, que se passerait-il si le comité ne désignait pas l’expert ?
En effet, la mise en demeure est adressée à l’employeur et non à l’institution représentative du personnel.
On pourrait alors penser que cette injonction n’a pas d’effet contraignant pour le CHSCT.
Cependant, celui-ci a pour mission fondamentale de contribuer à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l’établissement (article L. 4612-1 du code du travail).
Si les ordonnances « Macron » et la loi de ratification ont supprimé cette disposition, il est inenvisageable de considérer que le CSE ne dispose plus de cette prérogative. Il semblerait donc illogique de penser que le CHSCT ou le CSE, qui ont tous deux pour missions de procéder à l’analyse des risques professionnels (article L. 4612-2 et L. 2312-9 du code du travail), puissent s’opposer (volontairement ou par inaction) à la mise en demeure en ne désignant pas d’expert, d’autant plus que cette injonction vise à prendre des mesures afin de réduire les risques professionnels.
En filagramme, une deuxième question découle de la première : Qui peut agir pour contraindre le CHSCT ou le CSE à désigner l’expert s’ils ne le font pas ?
Cette interrogation amènera peut-être un développement de la jurisprudence.
En l’état du droit actuel, l’article L. 4732-1 dote la DIRECCTE de la possibilité de saisir le juge judiciaire, statuant en référé, pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque.
Une telle action pourrait être engagée contre l’employeur mais également contre l’institution représentative du personnel.
Les organisations syndicales pourraient également très certainement agir en justice sur le fondement de l’article L. 2132-3 qui dispose « qu’ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ».
Il est donc possible que le CHSCT et le CSE qui sont tous deux dotés de la personnalité morale, aient à répondre d’un éventuel refus de procéder à la désignation de l’expert prévue par la mise en demeure.
Il convient tout de même de préciser que c’est avant tout à l’employeur de tout mettre en œuvre pour se mettre en conformité avec la mise en demeure.
Ainsi, lorsque la mise en demeure de procéder à une évaluation des risques psychosociaux dans l’entreprise avec réalisation d’un diagnostic par un intervenant extérieur, devient définitive, l’employeur devrait, selon nous, convoquer le CHSCT ou le CSE afin de procéder à la désignation de l’expert.
Cette jurisprudence, ouvre la voie à de nouvelles possibilités pour l’inspecteur du travail et pour les représentants du personnel d’agir pour réduire les risques professionnels et plus particulièrement les risques psychosociaux.
La mise en demeure de réaliser une expertise pourra, par exemple, être utilisé en appui et à la suite des actions du CHSCT du CSE (en cas de danger grave et imminent, enquêtes, conséquence de projets importants…).
Certains points devront forcément être précisés et contribueront au développement de la jurisprudence.
Enfin il est utile de préciser que, si cette jurisprudence concerne des fait pris sous l’ère du CHSCT, elle est tout à fait transposable au CSE et valable pour l’avenir, ce qui la rend d’autant plus intéressante.
Même si ce n’est pas l’apport principal de l’arrêt, notons que la Cour de cassation a également précisé que si l’employeur était en droit d’assigner le CHSCT et son secrétaire aux fins d’annulation d’une délibération, rien ne justifiait l’action dirigée par la société contre chacun des membres du CHSCT pris individuellement et qui devait par conséquent organiser leur défense.
Cela caractérisait « une faute, faisant dégénérer en abus le droit d’agir en justice ». Un tel abus justifiait alors l’octroi de dommages et intérêts.