Les faits
À compter de 2006, le président-directeur général et plusieurs dirigeants d’une grande société ont mis en place une politique d’entreprise qui a touché un quart de leurs employés, à savoir :
- un plan de réduction d’effectifs visant 20 000 agents,
- un plan de mobilité interne visant 10 000 agents.
Un syndicat a porté plainte : il a dénoncé les conséquences humaines très lourdes résultant de cette politique.
La société et ses principaux dirigeants ont été poursuivis pour « harcèlement moral au travail ».
On parle de « harcèlement moral au travail » lorsqu’une personne est la cible d’agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail, dégradation susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.
Le code pénal incrimine le harcèlement moral au travail (art. 222-33-2).
La cour d’appel a condamné la société et ses principaux dirigeants pour « harcèlement moral institutionnel », en se basant sur l’article 222-33-2 du code pénal, qui vise le « harcèlement moral au travail ».
Il est d’usage de parler de « harcèlement moral institutionnel » lorsque des dirigeants déploient une politique d’entreprise qui, en connaissance de cause, conduit à une dégradation des conditions de travail de tout ou partie de leurs salariés.
Il doit s’agir d’une dégradation susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité des salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel.
Le code pénal incrimine le « harcèlement moral au travail » sans faire de mention spécifique et littérale à sa possible dimension « institutionnelle ».
Plusieurs prévenus ont formé un pourvoi en cassation.
La question posée à la Cour de cassation
Les dirigeants d’une société peuvent-ils être condamnés sur le fondement de la loi réprimant le « harcèlement moral au travail » pour avoir, en connaissance de cause, défini et mis en œuvre une politique générale d’entreprise de nature à entrainer une dégradation des conditions de travail des salariés ?
Le principe
Les actes constitutifs de crimes ou de délits et les peines qui leur sont applicables doivent être définis avec précision par la loi.
Ses effets
Le juge ne peut appliquer une loi à un comportement qu’elle ne vise pas. On dit que le juge est tenu de se livrer à une « interprétation stricte du droit pénal ».
En revanche, lorsque la portée d’un texte pénal est incertaine, le juge est autorisé à tenir compte des raisons qui ont conduit à son adoption, pour l’interpréter (ex. : en se basant sur les travaux parlementaires).
La décision de la Cour de cassation
Le « harcèlement moral institutionnel » entre bien dans le champ du « harcèlement moral au travail » tel que le conçoit le code pénal.
En effet, le législateur a souhaité donner au harcèlement moral au travail la portée la plus large possible.
La loi :
- n’impose pas que les agissements répétés s’exercent à l’égard d’une victime déterminée,
- n’impose pas que les agissements répétés s’exercent dans une relation interpersonnelle entre l’auteur et la victime, le fait qu’auteur et victime appartiennent à la même communauté de travail est suffisant.
La loi permet de réprimer les agissements répétés qui s’inscrivent dans une « politique d’entreprise », c’est-à-dire l’ensemble des décisions prises par les dirigeants ou les organes dirigeants d’une société visant à établir ses modes de gouvernance et d’action.
Cette interprétation du texte n’était pas imprévisible, d’autant plus pour des professionnels qui avaient la possibilité de s’entourer des conseils éclairés de juristes.
La cour d’appel a établi par des motifs suffisants l’existence d’agissements de la part des prévenus caractérisant le délit de « harcèlement moral institutionnel » ou la complicité de ce délit.
Les pourvois des dirigeants sont donc rejetés : les condamnations sont définitives.
https://www.courdecassation.fr/decision/678f6a5a29d9a5b0535ebb19