Les élections législatives se dérouleront les 12 et 19 juin 2022. La campagne officielle débute le 30 mai et pourrait faire intervenir de nombreux candidats issus de la société civile. L’employeur peut-il limiter l’expression des opinions politiques sur le lieu de travail ? De quels droits bénéficie le salarié candidat aux élections ou élu ?
Peut-on parler de politique sur le lieu de travail ?
Les salariés sont libres de leurs opinions et peuvent les exprimer dans l’entreprise. On ne peut y apporter de restrictions que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, et sont proportionnées au but recherché. Ainsi, l’employeur ne peut pas interdire les discussions politiques entre collègues. Il a d’ailleurs été jugé que la clause du règlement intérieur de l’entreprise qui prohibe ce sujet de conversation entre salariés est illicite (CE 25-1-1989 n° 64296). Le règlement intérieur peut toutefois contenir une clause dite « de neutralité », dès lors que les restrictions qu’elle prévoit sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise, et qu’elles sont proportionnées au but recherché (C. trav. art. L 1321-2-1). En pratique, cette clause n’est le plus souvent admise que pour les salariés en contact avec la clientèle. Si le salarié est libre d’exprimer des opinions politiques sur le lieu de travail, il est également en droit de taire ses convictions. De manière générale, l’employeur ne peut pas exiger d’un salarié qu’il émette une opinion ou qu’il prenne publiquement une position (Cass. soc. 26-10-2005 n° 03-41.796 F-D). Toute sanction ou tout licenciement décidé en raison des opinions politiques du salarié est abusif. Ainsi jugé à propos de la rupture de la période d’essai d’un salarié motivée, non par un manquement à ses obligations, mais par l’expression de ses opinions politiques au cours d’un repas à la suite d’une provocation intentionnelle de l’employeur (Cass. soc. 27-6-1990 n° 86-41.009 D). Une telle mesure constitue une discrimination (C. trav. art. L 1132-1), l’employeur étant passible de sanctions pénales (C. pén. art. 225-1 à 225-4).
Militant, gare à l’excès de zèle
L’engagement politique d’un salarié ne doit pas causer de troubles dans l’entreprise ni le conduire à commettre des fautes professionnelles. Tel est le cas, par exemple, lorsque le salarié abandonne son poste de travail pour distribuer des tracts électoraux (CA Paris 5-12-2013 n° 12-00973). Par ailleurs commet une faute grave le salarié d’un établissement pour personnes âgées qui, pendant ses heures de travail, exerce un militantisme politique actif en direction des personnes, psychologiquement fragiles, accueillies dans l’établissement et se fait remettre par l’un d’eux un chèque au profit d’une association collectant des fonds pour financer la campagne électorale d’un homme politique (CA Toulouse 4-3-2011 n° 09-6144). De même est justifié par une faute grave le licenciement du salarié qui affranchit aux frais de l’employeur, à des fins personnelles et sans autorisation, des invitations dans le cadre d’une campagne municipale, créant pour l’entreprise un risque sérieux de poursuites pénales en matière de financement illégal d’une campagne électorale (CA Versailles 14-3-2012 n° 10-05816).
Candidat, le salarié peut s’absenter pour faire campagne
Le salarié candidat aux élections législatives a droit à un congé d’une durée maximale de 20 jours ouvrables pour participer à la campagne électorale. Pour en bénéficier, il doit avertir son employeur au moins 24 heures avant le début de chaque absence, ce congé pouvant être fractionné en demi-journées. Ces absences sont assimilées à une période de travail effectif pour la détermination des droits à congés payés ainsi que des droits liés à l’ancienneté (C. trav. art. L 3142-79 à L 3142-82). Sur demande du salarié, ses absences peuvent être imputées sur les droits à congés payés qu’il a acquis à la date du premier tour de scrutin – cette année, le 12 juin 2022. À défaut, elles ne sont pas rémunérées mais donnent lieu à récupération, en accord avec l’employeur (C. trav. art. L 3142-81).
Élu, le salarié peut suspendre son contrat
Une fois élu, le salarié titulaire d’un mandat parlementaire bénéficie de droits à congés destinés à lui permettre d’exercer ses fonctions. Le salarié élu à l’Assemblée nationale peut suspendre son contrat de travail pendant la durée de son mandat s’il justifie d’une ancienneté chez son employeur d’au moins un an à la date de son entrée en fonction (C. trav. art. L 3142-83). Il convient de noter que si l’ancienneté du salarié est inférieure à un an, il ne peut pas prétendre à la suspension de son contrat de travail. Or l’exercice d’un mandat parlementaire paraît difficilement conciliable avec l’exécution d’un contrat de travail. En outre, le Code électoral prohibe l’exercice de certaines activités pour limiter les conflits d’intérêts. Si le salarié élu ne prend pas l’initiative de rompre le contrat de travail et, accaparé par son mandat, ne vient plus travailler, l’employeur peut lui reprocher un abandon de poste et prononcer un licenciement pour faute. Un décret devrait préciser les conditions dans lesquelles les droits des salariés, notamment en matière de prévoyance et de retraite, sont conservés pendant la durée du mandat (C. trav. art. L 3142-86). Toutefois, ce texte n’est pas encore intervenu à ce jour. La suspension du contrat de travail prend effet 15 jours après que le salarié a notifié sa décision à l’employeur, par lettre recommandée avec avis de réception (C. trav. art. D 3142-59). Le salarié n’est pas rémunéré par l’employeur pendant cette période. L’employeur ne peut pas s’opposer à la décision du salarié de suspendre son contrat de travail, même si l’intéressé ne lui a pas notifié sa décision par lettre recommandée. Les juges considèrent généralement que les règles de forme prévues par le Code du travail ne conditionnent pas le droit du salarié à congé et ne constituent qu’un élément de preuve en cas de litige avec l’employeur. Les nombreuses décisions en ce sens ont été rendues à propos d’autres congés, mais sont selon nous transposables au congé pour exercice d’un mandat parlementaire.
Une obligation de réintégration du salarié à l’issue de son premier mandat
À l’expiration de son premier mandat, le salarié qui le souhaite peut être réintégré dans l’entreprise.
Pour cela, il doit informer l’employeur, dans les 2 mois qui suivent l’expiration de son mandat et par lettre recommandée avec avis de réception, de son intention de reprendre son poste.
L’employeur dispose d’un délai de 2 mois à compter de la réception de ce courrier pour réintégrer le salarié (C. trav. art. L 3142-84 et D 3142-60).
L’employeur doit veiller à respecter ce délai de 2 mois.
À défaut, il peut être condamné à verser au salarié des dommages-intérêts en réparation de son préjudice : ainsi jugé à propos d’un employeur qui avait volontairement fait traîner la procédure de réintégration, tentant ainsi de décourager le salarié de reprendre son poste (CA Paris 23-3-2017 n° 15/10429).
En d’autres termes, l’obligation de l’employeur de réintégrer le salarié ne court qu’à partir du moment où ce dernier se manifeste.
Sans nouvelles, l’employeur peut considérer que le contrat de travail reste suspendu.
Si toutefois le salarié tarde trop à se manifester, l’employeur peut avoir intérêt à lui adresser un courrier, en recommandé avec avis de réception, lui enjoignant de justifier des raisons de son absence ou de reprendre le travail.
Le salarié retrouve son précédent emploi ou, si celui-ci n’existe plus ou n’est plus vacant, un emploi analogue assorti d’une rémunération équivalente.
Une fois réintégré, le salarié bénéficie de tous les avantages acquis par les salariés de sa catégorie durant l’exercice de son mandat.
Il bénéficie, si nécessaire, d’une réadaptation professionnelle en cas de changement de techniques ou de méthodes de travail (C. trav. art. L 3142-84).
Une priorité de réembauche si le salarié a exercé plusieurs mandats
Le salarié ne bénéficie pas d’un droit à réintégration dans les cas suivants (C. trav. art. L 3142-85) :
- le mandat a été renouvelé, à moins que la durée de la suspension correspondant au premier mandat n’ait été, pour quelque cause que ce soit, inférieure à 5 ans,
- l’intéressé, titulaire d’un mandat de député, est élu au Sénat (ou inversement).
Bien que l’article L 3142-85 du Code du travail ne le prévoie pas expressément, il s’en déduit que le contrat de travail du salarié dont le mandat est renouvelé peut être rompu.
Si le salarié ne prend pas l’initiative de démissionner, que peut faire l’employeur ?
Selon nous, il ne doit pas considérer que le contrat de travail est rompu de plein droit en cas de renouvellement du mandat.
Sauf accord avec le salarié, il peut engager une procédure de licenciement, non disciplinaire, en motivant la rupture par l’impossibilité de maintenir le contrat de travail en application de l’article L 3142-85 du Code du travail.
À notre connaissance, la jurisprudence ne s’est jamais prononcée sur cette question.
À l’expiration du ou des mandats renouvelés, le salarié bénéficie pendant un an d’une priorité de réembauche dans les emplois auxquels sa qualification lui permet de prétendre (C. trav. art. L 3142-85).
Il peut solliciter sa réembauche auprès de l’employeur par lettre recommandée avec avis de réception au plus tard dans les 2 mois qui suivent l’expiration de son mandat (C. trav. art. D 3142-61).
En cas de réemploi, l’employeur lui accorde le bénéfice de tous les avantages qu’il avait acquis au moment de son départ (C. trav. art. L 3142-85).