A l’occasion d’un contrôle URSSAF concernant l’ensemble des établissements de la Caisse d’Epargne coordonné au niveau national, la Caisse d’Epargne Loire Drome Ardèche (CELDA) s’était vu notifier un redressement d’un montant de 1 224 800 euros par l’URSSAF Rhône Alpes pour la période 2010 à 2012.
La CELDA avait contesté ce redressement devant le TASS de Saint-Etienne puis devant la Cour d’appel de Lyon.
La CELDA demandait, notamment, l’annulation de deux chefs de redressement relatifs à des avantages tarifaires consentis à ses salariés en matière de prêts immobiliers et de prêts à la consommation.
Elle soutenait que les réductions consenties n’excédaient pas le taux de 30% du « prix de vente normal TTC »1 toléré par l’administration et produisait, à l’appui de ses allégations, de nouvelles pièces afin de démontrer que les réductions consenties ne dépassaient pas le seuil de tolérance de 30 %.
La Cour d’appel de Lyon avait confirmé les deux chefs de redressement au motif que les nouveaux éléments produits avaient été communiqués postérieurement aux opérations de contrôle.
L’URSSAF, de son côté, contestait l’annulation de certains chefs de redressement par le TASS de Saint-Etienne pour lesquels ce dernier avait considéré (i) qu’ils avaient été établis sur la base de documents et d’informations obtenus auprès d’autres sociétés du Groupe BPCE et (ii) que l’URSSAF n’avait pas respecté la procédure spécifique prévue pour obtenir des pièces auprès de tiers au contrôle.
Là encore, la Cour d’appel de Lyon avait confirmé la décision des premiers juges.
C’est dans ce contexte, et à la suite des deux pourvois formés par la CELDA et l’URSSAF, que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette, dans un arrêt du 7 janvier 2021 (pourvoi n° 19-19.395), non publié au bulletin, l’ensemble des prétentions qui lui étaient soumises en livrant une lecture relativement surprenante du visa de l’article R 243-59 du Code de la Sécurité Sociale relatif au déroulement du contrôle URSSAF.
Le rejet de la possibilité revendiquée par l’URSSAF de fonder un redressement sur des documents obtenus auprès de sociétés tierces à la société contrôlée
En application de l’article R 243-59 du Code de la Sécurité Sociale, l’URSSAF ne peut, en principe, fonder son redressement que sur les seuls éléments fournis par la société contrôlée.
Par exception et sous réserve de suivre une procédure précise, l’URSSAF peut solliciter la communication de documents et informations auprès de tiers (article L 114-19, 2° du Code de la Sécurité Sociale).
En l’espèce, l’URSSAF avait fondé un certain nombre de chefs de redressement sur la base de documents et informations communiqués par d’autres sociétés que la CELDA, sans solliciter ces documents et informations dans les conditions posées par l’article L 114-19 précité.
Elle justifiait la validité de cette manière de procéder en soutenant que les sociétés auprès desquelles elle avait obtenu les informations litigieuses ne pouvaient être qualifiées de sociétés tierces dans la mesure où (i) elles appartenaient au même groupe que la CELDA et (ii) qu’elles avaient été également été contrôlées dans le cadre de la vérification du groupe.
La deuxième chambre civile fait une application stricte de l’article R 243-59 du Code de la Sécurité Sociale en sanctionnant la pratique de l’URSSAF et s’inscrit dans la droite ligne de sa jurisprudence antérieure selon laquelle un agent de contrôle ne peut pas rechercher lui-même des documents :
- en l’absence de l’employeur (Cass. soc. 5 dec. 1991 n° 89-17.754)
- ou auprès d’une autre société du même groupe quand bien même cette société tierce était gestionnaire et détentrice des documents sociaux et comptables du groupe (Cass. 2ème civ. 11 février 2016, n° 15-13.724)
La solution n’est, certes, pas nouvelle mais rappelle, à tout le moins, aux entreprises contrôlées de vérifier la manière dont l’URSSAF s’est procurée des documents sur lesquels elle a fondé un ou plusieurs chefs de redressement, en particulier lorsque la société contrôlée appartient à un groupe.
Le rejet de la possibilité pour la société contrôlée de produire des nouvelles pièces après le terme de la période contradictoire
Pour rappel, et en vertu de l’article R 243-59, la période contradictoire prend fin, en l’absence de réponse de la société contrôlée à la lettre d’observations, au terme des délais de réponse du cotisant (30 jours ou 60 jours sur demande expresse) ou, lorsque l’employeur a répondu à la lettre d’observations, à la date d’envoi de la réponse de l’agent de contrôle.
Il s’agit donc là d’une durée particulièrement réduite, d’autant plus à l’échelle de la contestation d’un redressement URSSAF qui peut parfois prendre plusieurs années avant qu’une position définitive des tribunaux ne soit obtenue.
Sans tenir compte de ce délai, nous semble-t-il ténu, la deuxième chambre civile rejette le pourvoi formé par la CELDA au motif que « les pièces versées aux débats à hauteur d’appel par la société doivent être écartées dès lors que le contrôle est clos après la période contradictoire telle que définie à l’article R 243-59 du code de la sécurité sociale et que la société n’a pas, pendant cette période, apporté des éléments contraires aux constatations de l’inspecteur ».
Outre sa sévérité, l’attendu n’en demeure pas moins, à notre sens, contestable, aussi bien sur le plan juridique que pratique.
Juridiquement d’abord, il faut bien relever qu’à aucun moment l’article R 243-59 n’interdit expressément qu’une pièce puisse être communiquée postérieurement à la période contradictoire.
En ce sens, la Cour de cassation a d’ailleurs déjà jugé « qu’aucun texte n’interdit à l’employeur de présenter de nouvelles pièces justificatives devant la juridiction saisie de son recours » (Cass. Soc. 17 juin 1999, n° 96-19.176).
Certes, dans des arrêts plus récents la Cour de cassation a pu considérer que les documents et justificatifs doivent être produits par les sociétés cotisantes à l’occasion des opérations de contrôle (Cass. 2ème civ, 24 novembre 2016 n° 15-20.493 ; Cass. 2ème civ, 19 décembre 2019 n° 18-22.912).
Mais une telle solution reste particulièrement surprenante au regard de :
- l’intérêt d’une double procédure pré contentieuse devant la Commission de recours amiable (CRA) puis contentieuse devant le Tribunal judiciaire et la Cour d’appel si on venait à considérer que la CRA et ces juridictions n’avaient plus vocation à juger en fait ;
- l’article 563 du Code de Procédure Civile, selon lequel « Pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves »,
- la durée laissée aux cotisants pour répondre à la lettre d’observations, qui laisse, en pratique, rarement le temps de réunir des éléments de preuve significatifs et de préparer une défense au fond très approfondie.
Sur ce dernier point, force est d’ailleurs de constater qu’au cas particulier des chefs de redressement concernés, i.e. de redressements portants sur des réductions tarifaires, la solution de la deuxième chambre civile prive, en pratique, le cotisant de toute défense au fond.
C’est pourtant un travail conséquent de reconstitution (du taux moyen pratiqué, offres promotionnelles comprises) et de comparaison (de chacun des avantages salariaux consentis avec ce taux moyen obtenu) qui est exigé.
Prétendre qu’un tel travail aurait dû être effectué avant l’expiration de la période de trente jours impartie à l’employeur pour répondre à la lettre d’observations est particulièrement audacieux pour ne pas dire utopique.
Bien qu’il s’agisse là d’une solution désormais affirmée à plusieurs reprises par la deuxième chambre civile, on ne peut que souhaiter qu’un arrêt d’Assemblée plénière vienne contredire rapidement cette position, si peu protectrice des droits de la défense des cotisants.