La clause de non-concurrence est une règle prévue au sein du contrat de travail ou de la convention collective par laquelle un salarié se voit imposer une obligation de ne pas concurrencer l’entreprise pour laquelle il travaille après son départ de celle-ci.
L’intérêt d’une clause de non-concurrence est donc d’empêcher le salarié de concurrencer son ancien employeur après son départ de l’entreprise.
A contrario, en l’absence de clause de non-concurrence, c’est le principe de liberté du travail qui s’applique. Le salarié est alors libre :
- de se faire embaucher dans une entreprise concurrente,
- de créer une entreprise concurrente.
Date d’application
La clause de non-concurrence s’applique à la date où le contrat prend fin, donc à la fin de la période de préavis.
En cas de dispense de préavis, elle s’applique à compter de la date où le salarié a quitté l’entreprise.
La clause de non-concurrence ne doit donc pas être confondue avec l’obligation de loyauté qui s’impose au salarié pendant l’exécution de son contrat de travail.
Elle doit également être distinguée de la clause d’exclusivité.
Nom dans le contrat
Même si aucune clause de non-concurrence n’est expressément libellée dans le contrat de travail, les juges peuvent déduire son existence à partir des obligations incombant au salarié.
Tel est le cas, par exemple, lorsque le contrat de travail prévoit une interdiction pour le salarié d’entrer en contact avec la clientèle de l’entreprise directement ou indirectement et par quelque procédé que ce soit (arrêt n° 15-28142 de la chambre sociale de la Cour de Cassation rendu le 15 mars 2017).
Il n’est donc pas nécessaire que la clause soit intitulée « clause de non-concurrence » dans le contrat pour qu’elle soit reconnue comme telle par les tribunaux. Une clause dénommée « clause de respect de la clientèle » peut donc, par exemple, être considérée comme une clause de non-concurrence.
Conditions
Une clause de non-concurrence doit obligatoirement être rédigée par écrit.
Elle ne se présume pas.
En plus de cette condition de forme, une clause de non-concurrence est nulle si elle ne respecte pas les conditions de validité fixées par la jurisprudence, c’est-à-dire par les décisions rendues par les tribunaux. 4 conditions doivent ainsi être réunies.
Intérêts légitimes
La clause doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise.
Cette condition sera facilement justifiable lorsque, par exemple, le salarié a des rapports proches avec la clientèle de l’entreprise.
Il est dès lors compréhensible que cette dernière ne souhaite pas voir une partie de ses clients partir vers une entreprise concurrente rejointe par le salarié ou une nouvelle entreprise crée par lui.
Exemple : l’intérêt légitime d’un bar ou d’un restaurant sera plus facile à prouver dans le cas d’une clause de non-concurrence applicable à un serveur que dans celui d’une personne responsable de la « plonge » en cuisine et n’ayant pas de contact avec la clientèle.
Spécificité de l’emploi
La seconde condition est liée à la première : la clause de concurrence doit prendre en compte les spécificités de l’emploi d’un salarié.
Une attention particulière sera ainsi portée aux rapports entre le salarié et la clientèle dans le cadre de son travail, mais aussi aux responsabilités du salarié dans l’entreprise, aux informations auxquelles il peut avoir accès (stratégie commerciale, financière, etc.), ainsi qu’aux connaissances et au savoir-faire de l’entreprise.
Cette condition sera d’autant plus facilement prouvable lorsque le poste du salarié est hiérarchiquement élevé dans l’entreprise.
Limite dans le temps et l’espace
L’étendue de la clause doit être limitée :
- en durée : pour garantir le principe de liberté du travail, la durée d’application ne doit pas être excessive au regard de la nature de l’emploi du salarié. Souvent, les durées des clauses sont d’une durée de 2 ans,
- dans l’espace : les clauses de non-concurrences prévoient le plus souvent une zone géographique limitée au territoire d’une ville, d’un département ou d’une région.
Une clause de non-concurrence par laquelle l’employeur peut renoncer à tout moment aux obligations qu’elle fait peser sur le salarié aussi bien avant que pendant la période d’interdiction est considérée comme nulle par les tribunaux (arrêt n° 14-19029 de la chambre sociale de la Cour de cassation rendu le 2 décembre 2015), le salarié étant laissé dans l’incertitude quant à l’étendue de sa liberté de travailler.
Indemnité de non-concurrence
Pour les tribunaux, la clause de non-concurrence est nulle dès lors qu’elle ne prévoit aucune contrepartie financière versée au salarié.
Pour que la clause soit valable, le montant de cette somme doit être suffisamment important et ne pas être jugé comme dérisoire.
En pratique, les employeurs prévoient un paiement dont le montant est la plupart du temps égal à un montant compris entre le quart et la moitié du salaire mensuel moyen versé au salarié. Mais la clause de non-concurrence peut toujours prévoit un montant supérieur.
A titre d’illustration, la clause de non-concurrence limitée à 1 an sur le territoire de la Corse et dont la contrepartie est égale au quart du salaire moyen des 6 derniers mois est licite selon les tribunaux (arrêt n° 14-29865 rendu par la chambre sociale de la Cour de Cassation le 31 mars 2016).
Le paiement intervient au moment de la rupture du contrat de travail. Le salarié y a droit même en cas de licenciement pour faute grave.
La jurisprudence précise en outre que le montant de la contrepartie d’une clause de non-concurrence ne peut pas être minoré en fonction du mode de rupture du contrat de travail.
L’employeur ne peut donc pas diminuer le montant de la somme due au salarié même en cas de licenciement pour faute (arrêt n° 13-25847 de la chambre sociale de la Cour de Cassation du 9 avril 2015).
Dans le même sens, le contrat de travail ne peut pas prévoir une réduction du montant de la contrepartie dans l’hypothèse où c’est le salarié qui rompt son contrat de travail (arrêt n° 14-29679 rendu par la même chambre le 14 avril 2016).
Nullité de la clause
Si l’une des conditions mentionnées ci-dessus n’est pas réunie, la clause est considérée comme nulle juridiquement. Seul le salarié peut se prévaloir de cette nullité.
Un employeur qui ne souhaiterait pas verser la contrepartie financière prévue lors de la rupture du contrat ne peut donc pas se prévaloir de la nullité de la clause de non-concurrence.
A l’inverse, un salarié peut contester la validité de sa clause de non-concurrence même lorsqu’il est DRH de l’entreprise et qu’il a donc participé à sa rédaction (arrêt n° 15-10987 de la chambre sociale de la Cour de Cassation rendu le 6 juillet 2016).
L’indemnisation du salarié par l’employeur ne peut pas uniquement résulter du caractère illicite de la clause.
Le salarié doit ainsi démontrer qu’il a subi un préjudice pour obtenir réparation (arrêt n° 14-20578 rendu par la chambre sociale de la Cour de Cassation le 25 mai 2016).
Cette décision constitue un revirement par rapport à la jurisprudence antérieure qui considérait que la simple nullité de la clause entraînait en elle-même un préjudice pour le salarié. Ce dernier doit désormais apporter la preuve de l’existence d’un préjudice pour pouvoir être indemnisé.
Violation et sanctions
A contrario, si un salarié viole une clause de non-concurrence valable, il s’expose à la fois :
- à devoir rembourser l’indemnité compensatrice dont il a obtenu le versement,
- à devoir réparer le préjudice subi par son ancienne entreprise,
- à être contraint de cesser son activité par un juge, éventuellement sous astreinte.
En revanche, pour pouvoir aussi agir contre le nouvel employeur en se fondant sur la violation de la clause, l’entreprise devra démontrer que celui-ci savait que l’embauche violait la clause de non-concurrence à laquelle le salarié se trouvait soumis.
Selon la jurisprudence, lorsque l’ancien employeur cesse son activité (liquidation judiciaire) pendant la durée de validité d’une clause de non-concurrence, le salarié n’est pas pour autant libéré de son obligation par l’employeur.
En conséquence, il appartient aux juges d’examiner la demande en paiement de la contrepartie financière au prorata de la durée d’exécution de l’obligation de non-concurrence (arrêt n° 13-26374 de la chambre sociale de la Cour de Cassation du 21 janvier 2015).
Renonciation
L’employeur peut parfois vouloir renoncer à une clause de non-concurrence.
Une décision qui aurait dès lors pour effet de priver le salarié de son indemnité compensatrice.
L’employeur ne peut donc pas annuler cette clause n’importe comment. Il doit ainsi respecter les éventuelles conditions prévues par le contrat de travail ou la convention collective de l’entreprise.
Selon la jurisprudence (arrêt n° 13-22257 de la Cour de Cassation du 11 mars 2015), l’employeur a le droit de renoncer unilatéralement à la clause au cours de l’exécution du contrat de travail, mais à condition d’avoir expressément prévu cette faculté au sein du contrat de travail.
A l’inverse, il doit obligatoirement obtenir l’accord du salarié pour annuler la clause de non-concurrence si rien n’est prévu dans le contrat de travail ou dans un accord collectif.
Dans tous les cas, la renonciation de l’employeur doit être claire, non-équivoque et adressée au salarié par courrier recommandé avec accusé de réception.
La cour de cassation a rendu une décision le 12 septembre 2018 concernant le sort de la clause de non-concurrence en cas de mobilité intragroupe. (Cassation Sociale, 12 septembre 2018, FS-P+B n° 17-10 853, SAS TESSIER)
Au-delà de l’enseignement qui peut être tiré de l’arrêt, il convient de se replonger dans l’historique de cette décision et cela nous rappelle combien il faut être vigilant à l’occasion des mobilités de salariés à l’intérieur du groupe.
Un salarié est recruté le 1er septembre 2005 par une entreprise, le Comptoir Lyonnais d’Electricité, qui deviendra ensuite la société SONEPAR Sud-Est.
Son contrat de travail contient une clause de non-concurrence.
Par un « protocole » en date du 30 juin 2017, les relations contractuelles sont modifiées puisque le salarié quitte l’entreprise pour devenir Cadre dans la société TESSIER, appartenant au même groupe que la société SONEPAR, et ce en qualité de Directeur.
Le contrat de travail est « transféré » par la conclusion d’un nouveau contrat de travail absolument identique et contenant une clause de non-concurrence libellée dans les mêmes termes.
Nous n’avons malheureusement pas connaissance du protocole lié à ce transfert.
Il semblerait que ce soit une rupture conventionnelle suivie de la signature d’un nouveau contrat.
La seule chose que nous savons est que la clause de non-concurrence conclue dans le contrat de travail avec la société SONEPAR n’a pas été levée à l’occasion de ce transfert intra-groupe, vraisemblablement parce que les parties considéraient qu’elle cessait de produire effet, étant remplacée par celle contenue dans le contrat signé avec la société TESSIER.
En décembre 2009, les parties se séparent dans le cadre d’une rupture conventionnelle homologuée.
La société TESSIER lève la clause de non-concurrence.
A titre indicatif, la contrepartie financière à la clause de non-concurrence de 2 ans, établie à hauteur de 50 % du salaire, s’élevait à 196 052,04 € majorée de 10 % au titre des congés payés afférents.
Il va s’ensuivre un contentieux entre le salarié et ses employeurs successifs.
Le 12 janvier 2011, le salarié saisit le conseil de prud’hommes de Saint-Étienne pour obtenir le paiement de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence contenue dans le contrat SONEPAR. Il assigne les deux entreprises, SONEPAR et TESSIER.
Le 28 septembre 2011, le conseil de prud’hommes, retenant qu’il y avait eu un transfert de contrat de travail entre les deux sociétés et que la clause de non-concurrence avait été levée par la dernière des deux sociétés à l’occasion de l’homologation de la rupture conventionnelle, déboute le salarié.
Le salarié fait appel et la cour d’appel de Lyon, le 11 mai 2012, confirme la décision du conseil de prud’hommes (1er arrêt de cour d’appel dans cette affaire).
Par arrêt du 29 janvier 2014, la cour de cassation casse et annule cet arrêt, mais seulement en ce qu’il avait débouté le salarié de sa demande de paiement de la contrepartie financière (1er arrêt de cour de cassation).
La cour d’appel de Grenoble alors saisie statue le 25 novembre 2014, infirme le jugement du conseil de prud’hommes du 28 septembre 2011 et condamne la société SONEPAR (première entreprise) à payer au salarié l’indemnité au titre de la clause de non-concurrence (2ème arrêt de cour d’appel).
Cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi en cassation qui, le 31 mars 2018, et pour un motif de procédure, casse l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble (2ème arrêt de cour de cassation).
La cour de cassation renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Chambéry, qui confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Saint-Étienne déboutant le salarié (3ème arrêt de cour d’appel).
La cour d’appel constate que le premier employeur, SONEPAR, n’avait pas formellement libéré son salarié de son obligation de non-concurrence, même s’il y avait eu un transfert de contrat de travail au sein du groupe dans une entreprise exerçant la même activité, mais par nature non concurrente puisqu’appartenant au même groupe.
La cour d’appel constate que lorsque le contrat de travail est rompu avec la société Tessier, cette dernière libère son salarié de l’obligation de non-concurrence mais ne peut pas pour autant libérer le même salarié de l’obligation de non-concurrence avec le premier employeur, à savoir la Société SONEPAR.
Des lors, le report de la clause de non-concurrence lié aux circonstances de fait au titre de cette mobilité intragroupe ne peut intervenir que pour autant que la clause vit toujours et n’est pas parvenue au terme contractuel fixé par les parties, sauf à priver l’employeur initial, tiers à la relation contractuelle entre le salarié et son deuxième employeur, de la possibilité de renoncer au bénéfice de cette clause et de libérer le salarié de son obligation puisqu’il n’est pas informé de la rupture et n’a pour seule connaissance que le terme contractuel de l’obligation de non-concurrence.
Le salarié se pourvoit à nouveau en cassation mais la cour rend une décision confirmant celle des juges du fond, rejetant le pourvoi du salarié (3ème arrêt de cour de cassation).
Pour la cour d’appel de Chambéry : « Monsieur Y… a été embauché le jour même de la rupture conventionnelle avec SONEPAR SUD EST par la société TEISSIER, société sœur qui ne se trouve comme telle pas en concurrence réelle avec le premier employeur ; l’application de la clause de non concurrence ne pouvait dès lors être revendiquée ni par la société SONEPAR, ni par monsieur Y… pendant le temps de la collaboration entre le salarié et la société TEISSIER ; la société SONEPAR n’avait pour autant pas délié le salarié de son obligation, ‘reportable’ en cas d’embauche par un employeur concurrent réel de SONEPAR ;
Ce report ne peut cependant intervenir que pour autant que la clause vit toujours et n’est pas parvenue au terme contractuellement fixé par les parties sauf à priver l’employeur initial, tiers à la relation contractuelle entre le salarié et son deuxième employeur, de la possibilité de renoncer au bénéfice de cette clause et de libérer le salarié de son obligation, puisqu’il n’est pas informé de la rupture et n’a pour seule connaissance que le terme contractuel de l’obligation de non concurrence ; »
Pour la cour de cassation, dans son arrêt du 12 septembre 2018, appréciant différemment le litige par rapport à sa première décision: « Attendu que la cour d’appel ayant constaté qu’à la date de la rupture du contrat de travail avec la société Tessier plus de deux ans s’étaient écoulés depuis la rupture du contrat initial et que la clause de non-concurrence figurant dans son contrat avait été contractuellement fixée à deux années, a exactement retenu que le salarié ne pouvait prétendre au paiement par la société Sonepar Sud-Est de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ».
L’argumentation juridique n’apparait pas facilement à la lecture de l’arrêt.
Pour les juges, le premier employeur, au moment du transfert du salarié vers la société sœur dans le groupe, met fin au contrat de travail (qui va se poursuivre avec un autre employeur dans le groupe), et dès lors, n’ayant pas renoncé expressément à la clause de non concurrence, celle-ci va s’appliquer.
Toutefois, dans cette situation, l’application de la clause de non concurrence (et sa contrepartie financière) ne pouvait être revendiquée ni par la Société ni par le salarié pendant le temps de la collaboration avec le second employeur appartenant au même groupe.
Le report de l’obligation de non concurrence contractée auprès du premier employeur n’était possible que pour autant que la clause vivait toujours et n’était pas parvenue à son terme.
Autrement dit, la clause se déroulait pendant sa durée contractuelle de 2 ans, sans être « active » puisque le salarié travaillait dans le même groupe, et n’avait vocation à être « active » qu’à partir du moment où le salarié ne faisait plus partie du groupe, et seulement pour la partie résiduelle de sa durée, si celle-ci n’avait pas été dépassée.
Au-delà de la question propre à la clause de non-concurrence, c’est la question de la survie de clauses contractuelles après une rupture plus ou moins bien définie d’un point de vue juridique à l’occasion de la mobilité de salariés dans des relations intragroupe qui se pose.
En effet, il est très fréquent que les parties mettent fin d’une façon « amiable » à un contrat de travail à l’occasion d’un transfert d’une société à une autre dans un groupe.
Il ne s’agit pas d’une démission, en général les éléments essentiels du contrat de travail étant conservés et le salarié n’est pas pour autant licencié, la rupture ne se faisant pas non plus par une rupture conventionnelle homologuée puisqu’aucune indemnité de rupture n’est versée.
La cour de cassation semblait pourtant avoir été explicite par rapport aux conventions tripartites pour régler la mobilité des salariés dans les groupes : « les dispositions de l’article L. 1237-11 du Code du travail relatives à la rupture conventionnelle entre un salarié et son employeur ne sont pas applicables à une convention tripartite conclue entre un salarié et deux employeurs successifs ayant pour objet d’organiser, non pas la rupture [du contrat], mais [sa] poursuite ». (Cass soc 8 juin 2016, n° 15-17.555, SGI Ingénierie), ce qui peut laisser penser que la question de la clause de non concurrence doit être traitée par le dernier employeur.
Cette affaire nous démontre bien qu’il y a lieu de prendre toutes les précautions qui s’imposent pour indiquer clairement que toutes les clauses du contrat initial prennent fin du fait de ce transfert, et ce malgré l’évidence, et que seules les clauses du nouveau contrat produiront effet à l’avenir.