Par un arrêt du 28 janvier 2022 et dans le prolongement des arrêts du 13 juillet 2021, le Conseil d’Etat confirme la possibilité pour l’Administration fiscale de requalifier en revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires les gains de cession devant être regardés comme acquis, non à raison de la qualité d’investisseur du cédant mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant.
A l’occasion du rachat d’un groupe en 2003, une société a mis en place un mécanisme d’intéressement visant à associer cette opération certains cadres dirigeants du groupe.
Un de ces cadres dirigeants a alors acquis 37 500 actions d’une société de management pour un prix de 75 000 €.
Cette société était indirectement détenue par l’acquéreur et regroupait notamment les cadres dirigeants du groupe racheté, associés à l’opération de rachat.
En décembre 2005, le dirigeant a cédé ses titres à leur prix d’acquisition à une société de droit belge dont il détenait avec son épouse l’usufruit et leurs enfants la nue-propriété.
Peu avant la revente du groupe en 2008, la société de droit belge a cédé l’ensemble de ses actions à une autre société faisant partie du groupe acquéreur aux prix de 1 212 746 €.
Par cette opération, elle a réalisé un gain de 1 137 746 € intégralement exonéré d’impôts en application de dispositions de droit belge.
A la suite d’un contrôle, l’Administration fiscale a fait application de la procédure d’abus de droit à l’encontre des époux au motif que la société belge, dépourvue de substance économique, avait été interposée dans un but exclusivement fiscal.
Ecartant cette interposition, elle a imposé le gain résultant de la cession à hauteur de 60 % dans la catégorie des traitements et salaires et de 40 % selon le régime des plus-value de cession de valeurs mobilières.
Le Tribunal Administratif de Paris a confirmé l’existence d’un abus de droit mais a considéré que le gain de cession litigieux devait être intégralement imposé selon le régime des plus-value.
Après avoir à son tour reconnu l’existence d’un abus de droit, la Cour Administrative d’appel de Paris a estimé que la totalité de ce gain était imposable dans la catégorie des traitements et salaires (CAA Paris, 27 juin 2019).
Le Conseil d’Etat confirme la solution de la Cour Administrative d’appel.
Le Conseil d’Etat procède en deux temps pour requalifier les gains résultant de la cession des actions.
Il retient d’abord l’existence d’un abus de droit pour écarter la société belge à laquelle les actions ont été cédées avant de se prononcer plus spécifiquement sur la catégorie d’imposition du gain litigieux.
La requalification en traitements et salaires des gains de cession réalisés par l’intermédiaire d’un société holding suppose au préalable d’écarter son existence par le biais de la procédure d’abus de droit fiscal.
Pour mémoire, les articles L 64 et L 64A du LPF permettent à l’Administration fiscale d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit afin d’en restituer leur véritable caractère.
En l’espèce, pour écarter l’existence de la société de droit belge, le Conseil d’Etat confirme le raisonnement de la Cour Administrative d’appel qui, se fondant sur un faisceau d’indices, relevait que celle-ci est dépourvue de substance économique.
Parmi les indices retenus, il convient de relever que la société ne disposait ni de locaux, ni de moyens, ni de personnel, qu’elle ne bénéficiait d’aucune autonomie de gestion compte tenu d’un pacte d’actionnaires conclu par les associés de la société de management ou encore que les titres litigieux avaient constitué son seul patrimoine entre sa création et leur vente.
Cette jurisprudence appelle à la prudence lors de la mise en place de management packages, auxquels peuvent, notamment, être substitués des dispositifs dits « qualifiés » d’épargne salariale et d’actionnariat salarié.
CE, 9ème et 10ème ch, 28 janvier 2022, n° 433965