Alors que les signalements de discriminations et de harcèlement sexuel restent nombreux mais mal traités, quand ils ne sont pas tout simplement ignorés, le Défenseur des droits publie la décision-cadre n° 2025-019.
Conçue pour améliorer le recueil des signalements et la conduite des enquêtes internes dans les entreprises et les administrations, son objectif est double : garantir une meilleure protection des victimes et témoins tout en sécurisant juridiquement les employeurs.
Des dispositifs encore trop inefficaces
Selon le dernier baromètre du Défenseur des droits et de l’Organisation internationale du travail (OIT), près d’une personne sur trois déclare avoir été victime de discrimination ou de harcèlement discriminatoire en milieu professionnel.
Pourtant, de nombreuses victimes hésitent encore à signaler ces faits : 43 % estiment qu’aucune action ne serait engagée, 36 % ne savent pas comment procéder, et 26 % craignent des représailles.
Dans ce cadre, le Défenseur des droits constate que les dispositifs de signalement existants sont souvent défaillants.
Le manque d’informations à disposition des salariés et agents sur ces mécanismes constitue un frein majeur.
Lorsqu’un signalement est tout de même effectué, il débouche trop rarement sur une enquête rigoureuse, les délais de traitement sont excessivement longs, et les sanctions, quand elles existent, demeurent insuffisantes.
Pire encore, le risque de représailles décourage les victimes et témoins de témoigner, ce qui entretient une forme d’impunité.
Par ailleurs, les enquêtes internes, lorsqu’elles sont menées, ne suivent aucun cadre méthodologique strict.
Cette absence de formalisme entraîne une grande hétérogénéité des pratiques qui renforce l’insécurité juridique, et ce, tant pour les victimes que pour les employeurs eux-mêmes.
Au-delà de la sensibilisation, la réactivité des employeurs demeure un élément structurant.
Les recommandations du Défenseur des droits
Pour remédier à ces défaillances, la décision-cadre appelle les employeurs à garantir des enquêtes internes plus rigoureuses et protectrices.
L’efficacité de ces dispositifs repose d’abord sur leur accessibilité et leur visibilité.
Ainsi, les canaux de signalement doivent être clairement identifiés et largement diffusés auprès des salariés et agents, afin que chacun sache à qui s’adresser en cas de discrimination ou de harcèlement.
Cette information doit être relayée régulièrement à travers des affichages, des formations et des supports numériques.
Au-delà de la sensibilisation, la réactivité des employeurs demeure un élément structurant.
Une fois un signalement reçu, l’enquête doit être déclenchée rapidement et ne peut être retardée sous prétexte qu’une procédure judiciaire est en cours.
L’inaction ou la lenteur de l’employeur peut être sanctionnée, car elle maintient la victime dans une situation de danger et compromet la crédibilité du dispositif mis en place.
L’impartialité et la rigueur méthodologique de l’enquête sont également des critères fondamentaux.
Les enquêteurs doivent être indépendants, formés aux principes du droit de la discrimination et du harcèlement, et capables d’établir un faisceau d’indices suffisant pour qualifier les faits, même en l’absence de preuve directe.
Une approche aussi rigoureuse que précautionneuse, combinée à des auditions menées en toute confidentialité, permet d’assurer un traitement objectif des signalements tout en protégeant les témoins et victimes contre d’éventuelles représailles.
La protection des victimes ne s’arrêtant pas à l’enquête, l’employeur doit veiller à éviter toute pression ou stigmatisation à leur encontre.
Cela peut passer par une réorganisation temporaire des missions, un aménagement du poste de travail ou encore, si la situation l’exige, l’éloignement du mis en cause afin de prévenir tout risque de récidive.
Cette vigilance doit nécessairement s’étendre aux témoins, qui jouent un rôle clé dans la révélation des faits.
Protéger ces derniers permet la libération de la parole.
Lorsqu’une enquête établit des faits avérés de discrimination ou de harcèlement, des sanctions doivent être prises.
L’employeur a l’obligation de réagir de manière proportionnée au regard de la gravité des actes constatés.
À défaut, il engage sa responsabilité et risque d’être poursuivi pour manquement à son obligation de sécurité.
Lorsqu’une enquête ne permet pas de corroborer les faits, l’employeur doit être en mesure de justifier objectivement sa décision et d’assurer un suivi afin d’éviter de créer un sentiment d’impunité.
L’inaction ou une enquête bâclée peuvent être assimilées à un manquement à l’obligation de sécurité et donner lieu à des sanctions lourdes
Un enjeu de conformité et de prévention des risques
Au-delà de la protection des victimes, le respect de ces principes constitue un enjeu majeur pour les employeurs.
Une enquête interne mal menée peut non seulement nuire au climat social et aux engagements en matière de diversité, mais aussi exposer l’entreprise ou l’administration à des recours judiciaires.
L’inaction ou une enquête bâclée peuvent être assimilées à un manquement à l’obligation de sécurité et donner lieu à des sanctions lourdes.
Pour ces raisons, les employeurs sont invités à structurer leurs procédures et à former leurs responsables RH et managers à la gestion des signalements et enquêtes.
Une approche proactive constitue non seulement un moyen de prévenir les risques de contentieux, mais aussi de renforcer la confiance des salariés dans l’engagement de l’organisation contre les discriminations et le harcèlement.
Avec cette décision, le Défenseur des droits marque ainsi une nouvelle étape encourageante dans la lutte contre ces phénomènes en entreprise.
L’autorité administrative indépendante rappelle que la mise en place de dispositifs efficaces ne doit pas être perçue comme une contrainte mais plutôt un levier de prévention et de gestion des risques, au service d’un environnement de travail plus sûr et plus équitable.