L’employeur qui procède à un licenciement économique en raison de sa cessation d’activité n’est pas tenu d’appliquer la procédure spéciale de licenciement prévue pour les salariés déclarés inaptes par le médecin du travail.
Quelle procédure de licenciement doit appliquer une entreprise en cessation d’activité qui compte parmi son personnel un salarié déclaré inapte par le médecin du travail ?
La Cour de cassation apporte une réponse pragmatique à cette question.
Le principe : la procédure de licenciement pour inaptitude prime
Un salarié victime d’un accident du travail est en arrêt de travail depuis 2 ans lorsque la liquidation amiable de la société employeur est décidée, son dirigeant partant à la retraite, et aucun repreneur n’ayant été trouvé.
À la suite d’une visite médicale de reprise, le salarié est déclaré inapte à son poste par le médecin du travail.
Son licenciement pour motif économique est prononcé le lendemain.
Le salarié conteste la légitimité de la rupture de son contrat de travail : selon lui, l’employeur ne pouvait pas prononcer un licenciement pour motif économique, mais avait l’obligation d’appliquer la procédure d’ordre public prévue par les articles L 1226-10 et suivants du Code du travail, relatifs à l’inaptitude physique.
Il aurait donc dû chercher à le reclasser et, à défaut, prononcer son licenciement assorti des indemnités de rupture spécifiques prévues par l’article L 1226-14 du Code du travail.
L’argument était sérieux.
En effet, dès lors qu’un salarié a été déclaré inapte par le médecin du travail, seuls une dispense expresse de reclassement par ledit médecin, l’impossibilité du reclassement ou le refus par le salarié du ou des postesproposés par l’employeur peuvent justifier le licenciement pour une inaptitude physique (C. trav. art.L 1226-12).
La chambre sociale de la Cour de cassation veille strictement au respect par l’employeur de ses obligations à l’égard du salarié déclaré inapte.
À la question de savoir s’il peut s’affranchir de ce régime protecteur en se plaçant sur le terrain du licenciement pour cause économique, la Cour de cassation a répondu à plusieurs reprises par la négative (Cass. soc. 14-3-2000 n° 98-41.556 PB : RJS 5/00 n° 526 ; Cass. soc. 19-5-2004 n° 02-44.671 FS-PB : RJS 7/04 n° 810 ; Cass. soc. 10-5-2012 n° 11-11.854 F-D).
Il convient de noter que la Cour de cassation a retenu le même principe à propos du licenciement pour motif disciplinaire d’un salarié déclaré inapte : la décision de la cour d’appel, qui avait admis la légitimité du licenciement pour faute grave d’un salarié déclaré inapte, a été cassée pour violation de la loi (Cass. soc. 20-12-2017 n° 16-14.983 FS-P).
L’exception : en cas de cessation d’activité de l’entreprise
La Cour de cassation appliquait également ce principe en cas de cessation d’activité de l’entreprise (voir notamment Cass. soc. 7-3-2007 n° 05-43.872 FP-PB : RJS 5/07 n° 586) mais elle a assoupli sa position en 2014, en décidant que, lorsque l’entreprise n’appartient pas à un groupe, une cessation totale d’activité autorise l’employeur, par exception, à licencier un salarié inapte pour motif économique dans la mesure où tout reclassement est impossible (Cass. soc. 9-12-2014 n° 13-12.535 FS-P : RJS 2/15 n° 88).
Continuant dans cette voie, la chambre sociale avait censuré la décision d’une cour d’appel ayant jugé nul le licenciement économique notifié à un salarié déclaré inapte à son poste à la suite d’un accident du travail par le liquidateur judiciaire de l’entreprise, en raison de l’absence de toute recherche de reclassement.
Selon la Cour de cassation, « l’impossibilité de reclassement de l’intéressé ressortissait à la cessation totale d’activité de l’entreprise mise en liquidation judiciaire sans poursuite d’activité, et il n’était pas prétendu que celle-ci appartenait à un groupe » (Cass. soc. 4-10-2017 n° 16-16.441 FS-PB).
La même analyse est retenue en l’espèce, à propos non pas d’une liquidation judiciaire de l’entreprise, mais d’une liquidation amiable.
Il convient de noter que la Cour de cassation prend soin de relever que le motif économique invoqué par l’employeur n’était pas remis en cause par le salarié.
La solution ne serait certainement pas la même dans l’hypothèse où le salarié établirait que l’employeur a commis une fraude ayant eu pour objet ou pour effet d’éluder les obligations légales mises à sa charge en cas d’inaptitude du salarié.
A notre sens, la solution retenue par la Cour de cassation est pragmatique : la recherche d’un reclassement dans une entreprise cessant son activité serait purement théorique.
On peut s’interroger, toutefois, sur les conséquences indemnitaires de cette décision pour le salarié.
Ce dernier peut en effet prétendre, en cas d’inaptitude physique résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, à une indemnité spéciale de licenciement égale au double de l’indemnité légale minimale de licenciement (C. trav. art. L 1226-14) ou, si elle lui est supérieure, à l’indemnité conventionnelle de licenciement (Cass. soc. 10-5-2005 n° 03-44.313 F-PB : RJS 7/05 n° 731).
Or le licenciement motivé par la cessation d’activité de l’entreprise n’ouvre pas droit, pour le salarié, à une telle indemnité.
Ainsi en l’espèce, l’arrêt d’appel qui avait condamné l’employeur à verser au salarié plus de 26 000 € à titre de solde d’indemnité spéciale de licenciement est censuré. Sur ce point, la solution retenue par la Cour de cassation peut sembler sévère pour le salarié.
Cass. soc. 15-9-2021 n° 19-25.613