Par un arrêt du 25 novembre 2020 (Cass. Soc. 25 novembre 2020, n° 18-13.769, la Cour de cassation a fait évoluer les critères permettant la caractérisation d’une situation ce co-emploi.
L’affaire s’inscrit dans un contexte de cession de contrôle et de réorganisation d’un groupe. Moins de deux ans après ces opérations, est mis un terme à l’activité de la société d’exploitation (AGC David Miroiterie).
Les salariés ont été licenciés pour motif économique et la société est mise en liquidation judiciaire.
Les salariés réclament notamment des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à AGC David Miroiterie et à AGC France, société Présidente de la première mais non mère, soutenant l’existence d’un co-emploi entre eux, hors l’existence d’un lien de subordination.
Les salariés sont reçus dans leurs prétentions par la Cour d’appel de Caen qui déclare l’existence d’un co-emploi ; AGC France est déclarée tenue in solidum des obligations d’AGC David Miroiterie.
Faisant application de la grille d’appréciation en vigueur (Soc. 2 juillet 2014 n°13-15.209 ; Molex), la Cour d’appel constate l’existence d’une confusion d’intérêts, d’activités et de direction entre les deux entités.
Elle retient que cette triple confusion s’est traduite par une immixtion d’AGC France dans la gestion sociale de la société d’exploitation laquelle a délégué à la première la gestion de ses ressources humaines.
Le même constat est fait concernant l’immixtion de l’entité Présidente dans la gestion économique de l’employeur (conventions intra groupe de trésorerie et de gestion administrative, rachat d’actifs).
AGC France conteste sa qualité de co-employeur.
L’arrêt de la Cour de Caen est cassé, et l’affaire renvoyée devant la cour d’appel de Rouen, faute pour les premiers magistrats d’avoir « caractérisé une immixtion permanente de la société AGC France dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière ».
La Cour de cassation ne remet aucunement en question la notion même de co-emploi, ni le double périmètre d’appréciation de l’immixtion, par l’entité tierce au contrat de travail, dans la gestion tant économique que sociale de l’entité employeur.
En revanche, elle abandonne le critère de la triple confusion d’intérêts, d’activités et de direction.
Elle retient désormais, comme conditions à la caractérisation d’une situation de co-emploi entre deux sociétés, la permanence de l’immixtion et la perte totale d’autonomie d’action de l’entité employeur au sens contractuel.
La nouvelle grille d’appréciation, ainsi arrêtée pour les juges du fond, est à la fois plus large et plus restrictive.
Ils pourront se détacher du critère de triple confusion pour établir l’immixtion.
Face à la multiplicité des relations intra-groupe, ce critère est devenu inadapté.
En revanche, leur appréciation des éléments de fait devra les conduire à établir l’existence, ou non, tant d’une immixtion permanente, que de la perte totale d’autonomie d’action de l’employeur ; conditions essentielles à la caractérisation d’un co-emploi entre les salariés et les entités dont la condamnation sera demandée.
Cette évolution devrait renforcer le caractère exceptionnel de la reconnaissance d’un co-emploi entre les sociétés d’un même groupe.
Depuis l’arrêt Molex susvisé, la Cour de cassation n’a eu à reconnaitre qu’une seule fois l’existence d’un co-emploi dans l’affaire 3 Suisses (Cass. Soc. 6 juillet 2016 n°15-15.481 et s.).
L’évolution de la définition du co-emploi, pourrait renforcer le recours à l’autre alternative dont disposent les salariés ; rechercher directement la responsabilité extra-contractuelle d’une entité du groupe, qui n’est pas leur employeur (Affaire Lee Cooper Cass. Soc 24 mai 2018 n°16-22.881).
La responsabilité de cette autre entité est engagée lorsqu’elle a commis une faute ayant « concouru à la déconfiture de l’employeur et à la disparition des emplois qui en résulte ».
Les deux alternatives se distinguent par leur fondement juridique (responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle), par les juridictions compétentes pour en connaitre (juridiction prud’homale ou Tribunal Judiciaire) et par la nature des préjudices à réparer.
La Cour de cassation vient de préciser que les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse et déjà indemnisés suite à une action prud’homale, n’étaient pas fondés à revendiquer la réparation de la perte de leur emploi auprès d’une autre entité du groupe sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle.
La première indemnisation obtenue (dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse) répare déjà le préjudice de la perte de leur emploi (Cass. Soc. 27 janvier 2021 n°18-23.535).
La vigilance doit rester de mise lors de l’établissement de projets de restructuration ou de réorganisation juridique ; les directions juridiques, financières et sociales des groupes devront eiller à ce que ces opérations ne conduisent pas à une immixtion permanente d’une société dans la gestion d’autres entités du groupe, ni à la perte totale de l’autonomie d’action d’une des leurs.