Que faire d’un salarié qui fait perdre à son entreprise plusieurs milliers d’euros et en ternit irrémédiablement l’image et la réputation ?
Toute entreprise peut être confrontée aux faits commis par un salarié qui peut lui faire perdre plusieurs milliers d’euros en ternissant irrémédiablement son image et sa réputation.
Dans ce cadre, elle souhaite fonder un licenciement pour faute lourde, sauf qu’en l’état actuel de notre droit, démontrer, de manière convaincante, la volonté du salarié de nuire à l’employeur relève de la mission quasi impossible.
L’affaire Kerviel, le fameux trader de la Société Générale, licencié pour faute lourde en 2008 est édifiante à ce titre.
Faute grave vs faute lourde : quelle différence ?
Le salarié qui se rend coupable de faits d’une gravité telle que son maintien dans l’entreprise devient impossible, peut être licencié pour faute grave.
Tel est le cas notamment d’actes d’insubordination, d’insultes proférées contre la hiérarchie, des absences injustifiées ou encore de la déloyauté envers l’entreprise.
Le licenciement pour faute grave entraîne la rupture immédiate du contrat de travail, sans préavis, ni indemnité de licenciement.
Le grade supérieur (et ultime) dans l’échelle des sanctions disciplinaires est la faute lourde.
Il s’agit d’une faute grave, doublée de l’intention de nuire à l’employeur.
La preuve des faits constitutifs de faute lourde incombe à l’employeur exclusivement.
S’il parvient à convaincre les juges du bien-fondé de cette qualification, le salarié pourra se voir condamné à des dommages-intérêts au profit de l’employeur, en réparation du dommage qu’il a causé.
Le seul fait de commettre une faute intentionnelle ne suffit pas pour caractériser une faute lourde, sans que soit caractérisé l’intention de nuire.
La condamnation pénale du salarié ne suffit pas pour caractériser la faute lourde
Dans l’affaire Kerviel, les agissements frauduleux du salarié avaient coûté 4,9 milliards de perte sèche à l’employeur, un redressement fiscal de 2,2 milliards, le départ d’une cinquantaine de personnes, dont le p-dg de l’époque, Daniel Bouton, et un préjudice d’image pour la banque dont les effets se font encore sentir une décennie plus tard.
Monsieur Kerviel avait été définitivement condamné au pénal pour » faux par altération frauduleuse de la vérité et usage de faux » et » abus de confiance « .
Et pourtant, sur le volet prud’homal de l’affaire, la Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation (Cass. soc. 17 mars 2021, n° 19-12.586), ont » dégradé » la qualification de faute lourde en faute grave, au motif que » les éléments du dossier ne permettent pas d’établir que Monsieur Kerviel a agi pour un autre motif que celui de poursuivre son intérêt personnel, dans un esprit de lucre et pour tirer de ses actes des avantages professionnels, notamment en termes de carrière « .
L’intention de nuire du salarié : une preuve impossible ?
Cette décision n’a pourtant rien de surprenant.
Depuis plusieurs années déjà, la tendance jurisprudentielle est de restreindre autant que possible la qualification de » faute lourde » et donc la possibilité d’engager la responsabilité civile du salarié.
Ainsi, selon les juges, le seul fait de commettre une faute intentionnelle ne suffit pas pour caractériser une faute lourde, sans que soit caractérisée l’intention de nuire.
De même, commettre des actes d’une particulière gravité et de façon répétée ne caractérisent pas nécessairement la faute lourde.
Celle-ci ne sera reconnue que si l’employeur parvient à caractériser la volonté du salarié de lui porter préjudice.
Or, comment faire une telle démonstration, lorsque même une condamnation définitive du salarié par le juge pénal pour faux et usage de faux et abus de confiance ne suffisent pas, selon la Cour de cassation, à caractériser l’intention de nuire du salarié ?
Caractériser, par des preuves irréfutables, la volonté du salarié de porter préjudice à son employeur semble relever de la gageure, d’autant que les moyens d’investigation à la disposition de l’employeur se heurtent très vite à l’exigence du respect de la vie privée du salarié.
A moins d’un revirement de jurisprudence, il semblerait que désormais, les cas où la faute lourde sera reconnue par les tribunaux civil seront anecdotiques.
Cette qualification a d’ailleurs perdu une grande partie de son intérêt, dans la mesure où désormais, la faute lourde n’est plus privative de l’indemnité compensatrice de congés payés.
Face à des agissements constitutifs d’infractions pénales (abus de biens sociaux, abus de confiance, vol,…) l’employeur devra, dans l’immense majorité des cas, licencier le salarié pour faute grave et rechercher éventuellement la responsabilité du salarié devant le juge pénal.