Depuis les ordonnances Macron du 23 septembre 2017, l’action en nullité de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif doit, à peine d’irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois courant (article L 2262-14 du Code du travail) :
- à compter de la notification de l’accord d’entreprise par la partie la plus diligente des organisations signataires de l’accord, pour les organisations disposant d’une section syndicale dans l’entreprise,
- à compter de la publication de l’accord dans la base de données nationale, dans les autres cas.
Si ce délai permet de garantir la sécurité juridique des accords collectifs en évitant qu’ils puissent être contestés longtemps après leur consultation, le Conseil constitutionnel a précisé en 2018 qu’il n’est pas applicable lorsque la légalité de l’accord est contestée par un salarié par la voie de l’exception d’illégalité dans le cadre d’un litige individuel (Conseil Constitutionnel, 21 mars 2018, n° 2018-761).
Dans un arrêt rendu le 2 mars 2022, la Cour de cassation reconnait au CSE la possibilité d’invoquer, par voie d’exception et sans condition de délai, l’illégalité d’une clause d’un accord collectif ou d’une convention collective (qu’il n’a pas signé), dès lors que la clause contestée viole ses droits propres, c’est-à-dire ceux résultant de ses prérogatives qui lui sont conférées par la loi (Cass. Soc. 2 mars 2022, n° 20-16.002).
Dans cette affaire ayant donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation rendu le 19 octobre dernier, la question posée à la Cour de cassation était de savoir si le CSE pouvait invoquer l’illégalité d’une clause d’un accord (en l’occurrence d’un accord de participation) qu’il a lui-même signé.
Dans cette affaire, une société indienne conclut le 24 juin 2013, pour l’une de ses succursales françaises, un accord de participation avec le comité d’entreprise de l’époque (devenu CSE par la suite).
La formule de calcul de la réserve spéciale de participation retenue par l’accord est la formule de calcul légale.
Pour mémoire, un accord de participation peut être conclu avec un délégué syndical (accord collectif de droit commun), avec un salarié mandaté par une organisation syndicale représentative dans l’entreprise ou avec le CSE.
Il peut également s’agir d’une ratification par le personnel d’un projet d’accord proposé par l’employeur.
Toutes ces modalités confèrent à l’accord de participation la qualité d’accord collectif de travail.
Constatant une baisse significative du montant global de la réserve spéciale de participation (RSP), le comité missionne un expert-comptable pour déterminer la ou les causes de cette baisse.
Se fondant sur le Guide de l’épargne salariale, cet expert l’impute au mode de calcul des capitaux propres prévu dans l’accord de participation.
Selon lui, la définition des capitaux propres donnée par l’article D 3324-4 du code du travail n’est pas transposable aux succursales françaises des sociétés étrangères.
Il convient de noter que l’article D. 3324-4 du code du travail tire les conséquences du caractère non imposable en France des résultats des établissements étrangers et leur exclusion corrélative de la participation obligatoire.
Il prescrit à cet effet de retrancher des capitaux propres ceux qui sont investis à l’étranger. L’expression « établissements situés à l’étranger » recouvre, selon le Guide de l’épargne salariale, les succursales, comptoirs, bureaux d’achats, de ventes, d’études ou de renseignements et d’une façon plus générale toutes exploitations ne disposant pas d’une personnalité juridique distincte.
Sont également assimilés à ces établissements, pour l’application de ce texte, les intérêts détenus dans les sociétés de personnes ou dans des associations en participation à l’étranger.
Il en conclut que le montant de la RSP aboutit à un montant inférieur à celui résultant de la formule légale de la participation.
Or, l’accord de participation peut établir un régime de participation comportant une base de calcul et des modalités différentes de la formule de calcul légale seulement si elles sont au moins équivalentes aux règles légales (article L 3324-2 du Code du travail).
Fort du rapport de l’expert, le comité assigne la société en justice (référé) pour ordonner l’application de la formule de calcul légale de la participation pour l’exercice 2017/2018 et les exercices ultérieurs et obtenir la remise en état au titre des exercices 2014/2015 et 2016/2017.
La Cour d’appel de Versailles le déboute de ses droits. Pour les juges du fond, le silence de la loi et de la réglementation sur la détermination des capitaux propres des succursales en France des sociétés étrangères faisait obstacle à la caractérisation d’un trouble manifestement illicite.
Le comité se pourvoit alors en cassation.
La Chambre sociale ne se prononce pas sur la lacune légale et réglementaire relative à la détermination des capitaux propres.
Mais elle rejette la demande du comité, la jugeant irrecevable pour un motif de pur droit : le comité d’entreprise, aux droits duquel vient le CSE, était signataire de l’accord de participation du 24 juin 2013 et a, en son temps, validé la notion de capitaux propres retenu par la société à l’article 4-1 C de l’accord en le signant.
Pour la Cour, le comité, signataire de l’accord de participation, n’est donc pas recevable à invoquer, par voie d’exception, l’illégalité de cette clause.
https://www.courdecassation.fr/decision/634f93f7b5afe5adfff28802