Aux termes d’une nouvelle ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020, l’exécutif a apporté des réponses à plusieurs difficultés d’interprétation et d’application de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à « la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire ».
Deux changements notables sont à signaler en matière de délais prévus par la loi ou le règlement.
- La prorogation prévue par l’article 2 de l’ordonnance n°2020-306 n’est pas applicable «aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice de ces droits».
La Chancellerie a estimé que la conclusion définitive d’un contrat auquel on avait donné son consentement ne pouvait constituer une sanction au sens de cette ordonnance et bénéficier du mécanisme de report.
Des secteurs économiques importants devraient bénéficier de cette clarification, par exemple les ventes immobilières ou les assurances-vie, ces activités pouvant se poursuivre malgré le contexte.
- Les mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction, de conciliation et de médiation restent prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de la période juridiquement protégée.
Cependant, le juge ou l’autorité compétente, «pourra modifier ces mesures ou y mettre fin, ou, lorsque les intérêts dont il a la charge le justifient, pourra prescrire leur application ou en ordonner de nouvelles en fixant un délai qu’il détermine».
Il est encore indiqué que «Dans tous les cas, le juge ou l’autorité compétente tient compte, dans la détermination des prescriptions ou des délais à respecter, des contraintes liées à l’état d’urgence sanitaire».
Le juge se voit réinvesti du pouvoir d’adapter le calendrier en fonction du contexte de chaque procédure.
Cette disposition vise à empêcher une instrumentalisation des mesures précitées à des fins dilatoires.
Elle devrait inciter les divers intervenants à poursuivre les diligences susceptibles d’être réalisées à distance, par exemple dans le cadre des mesures de conciliation ou de médiation.
En matière contractuelle, un nouveau régime a été introduit pour les astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et autres clauses de déchéance.
Pour mémoire, dans la version initiale de l’ordonnance n°2020-306, les effets de ces clauses étaient gelés jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la fin de la période juridiquement protégée, soit en l’état actuel des choses jusqu’au 24 juillet 2020.
Désormais, il conviendra d’appliquer les modalités suivantes :
– «Si le débiteur n’a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d’une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée».
– «La date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses prennent effet, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation, autre que de sommes d’argent, dans un délai déterminé expirant après la période définie au I de l’article 1er, est reportée d’une durée égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la fin de cette période.»
Ces modifications sont importantes.
On peut les résumer de la manière suivante :
- S’agissant des astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance arrivant à échéance pendant la période juridiquement protégée, le «mécanisme forfaitaire » initial a été remplacé par un « mécanisme glissant plus subtil » : leurs effets reprendront à compter de la fin de la période juridiquement protégée, augmentée d’une durée égale à l’empêchement provoqué par la crise au cas donné.
Supposons un marché de travaux conclu le 1er février 2020, la peinture devant être finalisée au 30 mars 2020, soit 18 jours après le début de la période juridiquement protégée, des pénalités de retard s’appliquant au-delà de cette date.
En application des nouvelles dispositions, les pénalités seront gelées jusqu’au 13 juillet 2020, soit dix-huit jours après la fin de la période juridiquement protégée.
En application des précédentes dispositions de l’ordonnance, les pénalités auraient été gelées jusqu’au 24 juillet 2020, soit un mois à compter de la fin de la période juridiquement protégée.
- S’agissant des astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance arrivant à échéance après la période juridiquement protégée : leurs effets sont reportés d’une «durée égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la fin de cette période».
Il s’agit d’un changement majeur par rapport à la version initiale de l’ordonnance n°2020-306, qui excluait de son champ d’application les clauses produisant leurs effets après la fin de la période juridiquement protégée.
Le gouvernement a de la sorte répondu aux sollicitations de nombreux entrepreneurs contraints de suspendre leurs chantiers ou leurs missions durant la crise.
Il convient de reprendre le même marché de travaux conclu le 1er février 2020.
La plomberie devait être finalisée pour le 30 juin 2020, soit six jours après la fin de la période juridiquement protégée, une astreinte journalière sanctionnant tout retard.
En application de la nouvelle ordonnance, cette astreinte sera gelée pour une période égale au temps écoulé entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020, soit jusqu’au 12 octobre 2020.
En application de la précédente ordonnance, cette astreinte aurait été exclue du mécanisme du report et aurait produit ses effets à compter du 30 juin 2020.
Toutefois, cette dérogation ne vaut que pour les obligations autres que celles de payer une somme d’argent, à l’image de ce qui prévaut en matière de force majeure.
C’est bien les conséquences d’un empêchement physique que le gouvernement a cherché à mieux encadrer.
Au-delà de ces modifications textuelles, des analyses récentes ont permis de mieux appréhender l’esprit des mécanismes mis en place par l’ordonnance n°2020-306.
Ainsi, le « moratoire » des délais prévus par la loi ou le règlement (article 2) ne constitue ni une suspension, ni un report, ni une interruption mais un dispositif sui generis, aménageant un équilibre entre la préservation du droit d’agir en justice et la nécessité de poursuivre l’activité économique.
Le délai pour agir est en quelque sorte « déconnecté » de l’éventuelle opération sous-jacente.
Les exemples suivants permettront de mieux comprendre l’intention du législateur :
- Délai d’un mois pour contester une saisie de compte bancaire : à l’expiration de ce délai, en l’absence de recours, le tiers saisi doit en principe procéder au paiement.
L’ordonnance proroge le délai ouvert au débiteur pour contester la saisie, mais n’interdit pas au tiers saisi de procéder au paiement à l’issue du délai légal.
- Délai de 10 jours permettant aux créanciers de former opposition à une cession de fonds de commerce.
En principe, le cessionnaire ne peut verser le prix au vendeur avant l’expiration de ce délai. Aux termes de l’ordonnance, le délai pour former opposition est prorogé, mais le cessionnaire pourra verser les fonds dès l’expiration du délai légal.
- Délai de 20 jours permettant aux créanciers de former opposition à une opération de réduction de capital non motivée par des pertes : l’opération ne peut être réalisée avant l’expiration de ce délai.
Aux termes de l’ordonnance, le délai pour former opposition est prorogé, mais les associés pourront réaliser l’opération dès l’expiration du délai de droit commun.
En ce qui concerne les délais contractuels (articles 4 et 5), il est possible de confirmer que la paralysie des effets des astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et autres clauses de déchéance ne remet pas en cause le fait que le débiteur qui ne s’exécuterait pas à la date prévue commet une inexécution, ce qui l’expose aux sanctions légales en découlant.
Ainsi, le créancier peut agir sans délai en paiement de sa créance ou réaliser des saisies.
Il peut également solliciter la résolution judiciaire du contrat, à condition de démontrer que l’inexécution était «suffisamment grave», condition que le juge ne manquera pas d’interpréter au regard du contexte.
Évidemment, malgré ces clarifications, la possibilité effective d’agir en justice reste largement tributaire du fonctionnement des tribunaux, dont l’activité est toujours fortement réduite en raison du contexte, sans qu’aucune date de reprise n’ait été communiquée par la Chancellerie.