Vous êtes une personne morale ou physique. Vous signez un contrat en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce pour un montant égal ou supérieur à 5 000 euros HT.
Vous devez vérifier la régularité de la situation de votre cocontractant quel que soit votre secteur d’activité.
La sortie d’un rapport publié par un collectif d’ONG sur la mise en œuvre par les entreprises de plus de 5 000 salariés de leur devoir de vigilance créé par la loi du 27 mars 2017 à la suite de la catastrophe du Rana Plaza, ne doit pas faire oublier une obligation de vigilance beaucoup plus ancienne créée par la loi du 31 décembre 1991 renforçant la lutte contre le travail clandestin et la lutte contre l’organisation de l’entrée et du séjour irréguliers d’étrangers en France.
La loi du 31 décembre 1991 associe le donneur d’ordre dans cette lutte.
L’objectif est clair :
« La lutte contre le travail dissimulé ne vise pas seulement à mettre en cause la responsabilité des auteurs immédiats de cette délinquance économique et financière. Pour agir efficacement, il est indispensable de rechercher celle des donneurs d’ordre qui sont souvent les véritables bénéficiaires et les instigateurs des pratiques frauduleuses génératrices d’une importante évasion sociale et fiscale » (Circulaire interministérielle DILTI du 31 décembre 2005 relative à la solidarité financière des donneurs d’ordre en matière de travail dissimulé).
Pour ne pas voir sa solidarité financière engagée, dès lors que son cocontractant fait l’objet d’un procès-verbal pour travail dissimulé, le donneur d’ordre doit démontrer qu’il a vérifié la régularité de la situation de son cocontractant.
Que recouvre l’obligation de vigilance ?
Toute personne doit vérifier :
- lors de la conclusion d’un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant égal ou supérieur à 5 000 euros HT en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce,
- et tous les 6 mois jusqu’à la fin de l’exécution du contrat
- que son cocontractant s’acquitte de certaines formalités (déclaration d’activité, de salariés …)
Pour satisfaire à cette obligation de contrôle, le professionnel (des dispositions particulières sont prévues lorsque le donneur d’ordre est un particulier) doit solliciter et se faire remettre de la part de son cocontractant, des documents qui varient suivant que son cocontractant soit français ou étranger.
Ces documents sont listés aux articles D. 8222-5 et D. 8222-7 ainsi qu’aux articles D. 8254-2 et D. 8254-3 du Code du Travail.
Ils visent à contrôler que :
- le contractant a rempli ses obligations en matière d’immatriculation, de déclarations sociales et fiscales, de déclaration préalable à l’embauche, de délivrance d’un bulletin de paie, de déclarations des salaires et cotisations sociales afférentes,
- les salariés détachés ont l’autorisation d’exercer une activité salariée en France.
Ces documents sont synthétiquement les suivants :
Lorsque le cocontractant est Français :
1. l’attestation de vigilance URSSAF (attestation de fourniture de déclaration sociale et de paiement des cotisations et contributions de Sécurité Sociale) datant de moins de 6 mois, dont il faudra vérifier l’authenticité (n° d’authentification)
2. l’extrait KBIS (ou carte d’identification auprès du répertoire des métiers ou document comportant certaines mentions ou récépissé du dépôt de déclaration auprès d’un CFE)
3. la liste des salariés étrangers soumis à autorisation de travail (date d’embauche, nationalité, type et n° d’autorisation de travail)
Le donneur d’ordre ne doit donc pas seulement se faire remettre ses documents, il doit également, s’agissant du premier document, en vérifier l’authenticité et conserver la trace de cette vérification.
Des obligations similaires existent lorsque le cocontractant est étranger.
Outre l’immatriculation du cocontractant à un registre professionnel, la liste des salariés étrangers soumis à autorisation de travail, le donneur d’ordre doit se faire remettre de la part de son cocontractant :
1. un document mentionnant le n° de TVA intracommunautaire s’il est établi sur le territoire de l’UE (ou document mentionnant l’identité et l’adresse du cocontractant)
2. le certificat A1 (salarié de l’UE maintenu au régime de sa législation nationale) ou un document équivalent (salarié hors UE relevant d’une convention internationale) ou attestation URSSAF française
Ces formalités obligatoires à la conclusion du contrat et tous les 6 mois sont lourdes et des plateformes proposent aux entreprises de recueillir pour leur compte ces documents.
La vigilance (là encore !) s’impose lors de la lecture des conditions générales de ces contrats afin de vérifier l’étendue des engagements pris par le prestataire quant aux documents recueillis et leur mode de conservation.
Cette liste de documents est exclusive.
Les documents énumérés par les articles précités (D.8222-5 et D.8222-7 du Code du Travail) sont les seuls dont la remise permet à la personne dont le cocontractant est établi en France ou à l’étranger de s’acquitter de l’obligation de vérification mise à sa charge (Cass. Ass. Plén. 6 novembre 2015 ; Cass. Soc. 11 février 2016).
À quoi s’expose le donneur d’ordre en cas de manquement à son obligation de vigilance ?
Lorsque le donneur d’ordre ne vérifie pas la situation de son cocontractant en se faisant remettre les documents précités et que son cocontractant a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé (a juste fait l’objet d’un procès-verbal et non d’une condamnation), le donneur d’ordre est tenu solidairement avec son cocontractant :
« 1- Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que les pénalités de majorations dues par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale.
2- Le cas échéant, au remboursement des sommes correspondant au montant des aides publiques dont il a bénéficié.
3- Au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues par lui à raison de l’emploi de salariés n’ayant pas fait l’objet (…) de la déclaration préalable à l’embauche et à défaut de délivrance du bulletin de paie » (article L. 8222-2 du Code du Travail).
L’URSSAF, qui constitue un des organismes pouvant mettre en œuvre la solidarité financière, a le choix d’agir auprès du débiteur principal c’est-à-dire l’auteur du travail dissimulé et / ou du débiteur solidaire (le donneur d’ordre).
Pour rechercher la responsabilité du donneur d’ordre, débiteur solidaire, il lui suffit de démontrer la réunion de 4 éléments :
1. le constat par procès-verbal d’une infraction de travail dissimulé à l’encontre du débiteur principal (cocontractant),
2. l’existence de relations contractuelles entre le donneur d’ordre et l’auteur du travail dissimulé
3. le montant de la prestation qui doit être égal ou supérieur à 5 000 euros HT
4. le défaut de vérification par le donneur d’ordre de la situation de son cocontractant en s’abstenant de se faire remettre totalement ou partiellement les documents précités.
Les sommes dont devra s’acquitter le donneur d’ordre (débiteur solidaire) sont déterminées à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession.
Cette obligation de vigilance existe donc depuis plus de 20 ans mais reste encore largement méconnue des entreprises.
Il est urgent de la découvrir ou de la redécouvrir et surtout de la respecter.
La pratique montre une forte augmentation des contrôles URSSAF en la matière.
Face à une situation financière délicate du débiteur principal, les URSSAF n’hésitent pas à mettre en œuvre la procédure de solidarité financière à l’encontre du donneur d’ordre, à supposer que ce dernier n’ait pas satisfait à son obligation de vigilance.
Les montants des redressements sont suffisamment significatifs (pour rappel le montant des cotisations éludées peut être majoré de 25 % ou de 40 % et les redressements peuvent porter sur les 5 dernières années) pour s’astreindre à solliciter, à la conclusion du contrat et tous les 6 mois auprès de son cocontractant, les documents précités, listés par le Code du Travail.
La charge est lourde, mais l’enjeu financier est important.