La loi Travail nº 2016-1088 du 8 août 2016 a supprimé la notion d’avantages individuels acquis née des lois Auroux en cas de dénonciation ou de mise en cause des accords collectifs.
La jurisprudence passée n’avait pas pour autant permis de clarifier leur contour et rendait souvent nécessaire une analyse au cas par cas.
La loi Travail lui a substitué celle supposée plus simple ou plus compréhensible de « maintien de la rémunération perçue ».
Cependant, à l’examen de cette nouvelle définition, nombre de questions sont très vite apparues, opposant des visions minimalistes ou maximalistes de ce que recouvrait cette « rémunération ».
Le changement législatif supposé procurer clarté et sécurité juridique semblait pour le moins inabouti et source de potentiels contentieux… ce qu’il avait pourtant pour objet d’éviter puisque, dans l’étude d’impact de la loi Travail, il était rappelé que la mesure devait sécuriser les salariés et les employeurs et « contribuer à freiner le contentieux grâce à une définition stabilisée, identique pour toutes les entreprises, ne laissant pas la place à de nombreuses possibilités d’interprétation ».
Dans la mesure où la vivacité du dialogue social suppose que les conséquences de la dénonciation comme celles de la mise en cause puissent être parfaitement anticipées, il est apparu indispensable de redéfinir la règle applicable.
Clarification de la loi du 29 mars 2018 : du maintien à une garantie de rémunération
Les nouvelles modifications apportées aux articles L. 2261-13 et L. 2261-14 du Code du travail par l’article 21 de la loi nº 2018-217 du 29 mars 2018 peuvent de prime abord sembler cosmétiques, voire explicatives.
Il s’agit de passer d’un maintien de rémunération à une garantie de rémunération. Il est par ailleurs précisé que la garantie de rémunération peut se traduire par le versement d’une indemnité différentielle.
- Mécanisme inhérent à la garantie. Conserver une rémunération dont le montant est figé à un instant « T » n’est pourtant pas la même chose que garantir une rémunération.
La notion de garantie suppose une comparaison dans le temps et donc la conservation de la donnée pour servir de référence sans limitation de durée.
Elle permet en contrepartie de ne pas figer la situation, le montant du différentiel pouvant varier à la baisse ou à la hausse, au gré de l’évolution de la carrière du salarié et/ou de nouveaux avantages conventionnels.
Elle suppose en revanche d’isoler et d’historier la garantie.
- Prise en compte de l’ancienne rémunération contractuelle. Autre modification qui n’est pas sans conséquence : la prise en compte, pour la définition de la garantie, de la rémunération versée en application du contrat de travail.
Ainsi, ce ne sont plus seulement les éléments de rémunération versés en application de l’accord dénoncé ou mis en cause qui doivent être maintenus, mais ceux résultant de l’accord auxquels s’ajoutent ceux versés en application du contrat de travail(le texte est étrangement rédigé de façon différente pour la dénonciation que pour la mise en cause : dans ce dernier cas, pas de référence explicite au contrat de travail : à notre sens, il ne peut s’agir que d’un oubli, l’indemnité différentielle visant quant à elle le contrat de travail).
Le nouveau texte pose encore question : s’agit-il des seules rémunérations expressément visées au contrat ou doit-on considérer que sont visées toutes celles prises en application de la relation contractuelle, et donc même celles qui ne sont pas définies dans le contrat lui-même (par exemple : principe d’un bonus défini au contrat, son montant et les objectifs à atteindre n’étant pas contractualisés) ?
Si l’on s’en tient aux échanges intervenus au Sénat, la première lecture plus stricte devrait être privilégiée.
Ainsi, Madame Patricia Schillinger rappelait lors de la séance de discussion au Sénat du 24 janvier 2018 : « Nous souhaitons préciser que ce maintien de salaire constitue une garantie de rémunération pour le salarié, au titre des seuls éléments issus de la convention ou de l’accord mis en cause ou dénoncé, et du contrat de travail. »
Or, nombre d’éléments de rémunération ne naissent pas du contrat de travail, mais d’usages ou encore d’engagements unilatéraux, comme le rappelle Michel Morand (v. « De la rémunération annuelle maintenue à la rémunération annuelle garantie : essai de clarification », Semaine Sociale Lamy nº 1807 du 19 mars 2018).
Faut-il cependant s’en offusquer ?
Certainement pas, dans la mesure où l’employeur garde la possibilité à tout moment de remettre en cause les engagements unilatéraux qu’il a pris.
Les intégrer dans la comparaison aurait de fait rendu sans effet cette possible remise en cause.
Risque-t-elle d’emporter la généralisation de la dénonciation de tels avantages ? C’est ce que semblent craindre certains.
Conséquences pratiques
- Comparaison facilitée. Au terme du délai de survie, le niveau de la garantie de rémunération devra être évalué sur la base des salaires perçus au cours des 12 derniers mois précédents.
Elle sera constituée de l’addition des éléments de rémunération nés de l’accord collectif et de ceux nés du contrat de travail, c’est-à-dire hors ceux résultant d’usages et d’engagements unilatéraux.
- Éléments de rémunération à prendre en compte. Les éléments constituant la rémunération annuelle garantie s’entendent de ceux retenus par l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale pour la détermination des cotisations de sécurité sociale (v. sur ce point, « Modification et survie du statut collectif : dénonciation, révision et mise en cause », Les Cahiers du DRH, févr.-mars 2017, nº 239-240).Il convient donc d’inclure le montant brut de tous les composants réguliers, versés en application de l’accord dénoncé (ou mis en cause) et du contrat de travail, en contrepartie ou à l’occasion du travail, et qui, sur le bulletin de paye, sont assujettis aux cotisations de sécurité sociale (à l’exception du rachat de prix des stock-options).
Remarque : les allocations conventionnelles forfaitaires de remboursement de frais, qui sont exonérées de charges sociales, devraient donc être exclues.
En revanche, dès lors qu’ils résultaient de l’accord dénoncé, doivent être intégrés dans la garantie de salaire la rémunération des temps de pause, même si cette dernière est supprimée, ainsi que les contreparties financières des temps d’habillage ou des temps d’astreinte, pour autant que la sujétion n’ait pas disparu.
La garantie n’a toutefois pour objectif que de pérenniser (du moins provisoirement) sous leur forme financière des avantages réguliers et non pas purement circonstanciels.
Doivent donc, par exemple, être exclues de la base de comparaison les majorations conventionnelles pour heures supplémentaires effectuées de manière purement ponctuelle au cours de l’année de référence.
Il en va de même en cas de versement, durant cette période, d’une prime exceptionnelle instituée par l’accord dénoncé.
A fortiori, il ne semble pas conforme à l’esprit du texte d’intégrer des éléments conventionnels de rémunération prévus par l’accord dénoncé, mais que le salarié n’a pas perçu, rien ne permettant de dire que ce dernier aurait pu y prétendre. Comme par le passé, les avantages virtuels ne semblent pas devoir être pris en compte (Cass. soc., 19 juin 1987, nº 84-44.689).
Le montant de la garantie est calculé sur la base d’un temps de travail équivalent à celui effectué par le salarié.
Il est donc proratisé en cas de passage à temps partiel ou reconstitué à temps plein dans le cas contraire.
- Comparaison annuelle. Au terme de chaque année (date anniversaire de la cessation des effets), il convient de vérifier que la garantie est respectée en comparant, à celle initialement constatée, la rémunération versée tant au titre du contrat de travail que des accords éventuels nouvellement applicables, et uniquement eux.
- Forme de la garantie. La garantie peut prendre la forme d’une indemnité différentielle dont le montant évoluera à la hausse ou à la baisse en fonction des évolutions de rémunération.
Le recours à cette technique permet :
– de consacrer le caractère variable de l’indemnité en cause,
– d’affecter une ligne particulière du bulletin de salaire au constat de l’engagement, au mois le mois ou seulement une fois par an,
– de conserver l’historique des différences de rémunération, même si lorsque l’indemnité différentielle a été nulle une année, sa disparition risque de fait d’être définitive.
Illustration chiffrée
Hypothèses de calcul :
– augmentation annuelle de 2 %
– prime d’ancienneté : 10 %
– gratification annuelle = salaire de base mensuel + prime d’ancienneté,
– prime mensuelle de salissure : 60 €.
- Date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions
Les modifications apportées aux articles L. 2261-13 et L. 2261-14 du Code du travail s’appliquent à tous les accords ou conventions dénoncés ou mis en cause qui ont cessé de produire leurs effets depuis le 9 août 2016, y compris si la date de leur dénonciation ou de leur mise en cause est antérieure à cette date.
- Précisions à apporter dans les accords collectifs
Pour clarifier définitivement les conséquences en termes de rémunération de la dénonciation ou de la mise en cause, il peut être opportun de définir les règles à suivre pour la détermination de cette garantie dans l’accord collectif d’origine.
En effet, il est conseillé de compléter les dispositions conventionnelles fixant les conditions de la dénonciation par des précisions concernant la garantie de rémunération, sa définition et la méthode de calcul à appliquer.
Par ailleurs, s’agissant d’une garantie et non plus d’un maintien, un accord collectif futur pourrait envisager sa suppression, notamment dans le cadre d’un accord de performance collective (v. Christine Aranda et Vivia Correia, « L’accord de performance collective : Un nouvel outil pour obtenir l’adhésion des partenaires sociaux et des salariés aux projets d’évolution de l’entreprise », Les Cahiers du DRH, nº 250-251, févr.-mars 2018).
Restera, en tout état de cause, à régler le cas de mises en cause successives d’accords collectifs ayant généré autant d’indemnités différentielles…