Dans le cadre de leur mission de contribuer à la préservation de la santé et de la sécurité des travailleurs, les CHSCT disposent d’une prérogative importante en matière d’expertise.
A compter de la mise en place du CSE et au plus tard au 1er janvier 2020, cette prérogative est transférée à la nouvelle instance fusionnée dans les entreprises employant 50 salariés et plus.
La réforme MACRON a apporté assez peu d’innovations dans ce domaine puisque les cas de recours à un expert « habilité » restent les mêmes, à savoir (cf. C. Trav., L2315-94) :
• lorsqu’un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement,
• en cas d’introduction de nouvelles technologies ou de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévus au 4° de l’article L. 2312-8.
La décision relève de la compétence de l’instance en réunion plénière et ne peut être valablement déléguée ou prise par les membres de la CSSCT, lorsque celle-ci existe, et a fortiori encore moins par les représentants de proximité (toute clause en ce sens figurant dans un accord d’entreprise ou un règlement intérieur de CSE serait inopposable à l’employeur et inopérante).
Par contre, une évolution importante en pratique concerne le mécanisme de financement de ces expertises puisque dorénavant, le CSE devra assumer, sur son budget de fonctionnement, 20% du coût de l’expertise en cas de projet important ou d’introduction de nouvelles technologies (si son budget est insuffisant, l’employeur prendre en charge la différence mais le CSE se verra alors interdire pour 3 ans de transférer tout ou partie du montant de l’excédent annuel du budget de fonctionnement au financement des activités sociales et culturelles – cf. C. Trav., L2315-61).
En revanche, les expertises pour risque grave ne sont pas impactées (leur financement continuera de devoir être assumé intégralement par l’employeur).
Côté judiciaire, les décisions sont abondantes dans ce domaine, et resteront dans l’ensemble transposables au nouveau CSE.
Deux décisions récentes retiennent ici l’attention en ce qu’elles illustrent l’émergence d’actions visant à étendre le champ de ces expertises :
Concernant les salariés d’entreprises extérieures : le CHSCT d’une entreprise de travail temporaire peut-il diligenter une expertise pour risque grave concernant des intérimaires mis à disposition d’une entreprise cliente
On sait que la loi permet au CHSCT d’exercer ses missions en matière de prévention non seulement au profit des salariés de l’entreprise, mais également des salariés d’entreprises extérieures intervenantes ou encore des travailleurs temporaires (règle maintenue pour les CSE – cf. C. Trav., L2312-6 et L2312-8).
A l’inverse, il faut rappeler que la loi cantonne le champ de l’expertise, en exigeant que le risque grave soit « constaté dans l’établissement », c’est-à-dire dans le périmètre duquel l’instance a été constituée.
De toute évidence, le CHSCT d’une entreprise extérieure ne remplit pas cette condition par rapport à l’entreprise utilisatrice, et d’ailleurs, la réglementation en matière d’intervention d’entreprises extérieures fait bien la distinction et articule les attributions du CSE de l’entreprise utilisatrice avec celles du CSE de l’entreprise extérieure (cf. C. Trav., R4514-1 s.).
Sans toutefois s’appuyer sur cet argument, la Cour de cassation semble écarter de facto la possibilité que des élus du prestataire puissent imposer la conduite d’une expertise « risque grave » chez le client, qui n’a pas la qualité d’employeur.
C’est ce qui ressort d’un arrêt refusant de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel présentée par une entreprise d’intérim et motivée notamment par le fait que selon elle, la loi telle qu’elle était rédigée pour les CHSCT, méconnaîtrait notamment la liberté d’entreprendre et le principe de participation des travailleurs à la détermination de leurs conditions de travail.
En fait, pour la Chambre sociale, cette question apparaît comme étant ni nouvelle, ni sérieuse, en sorte qu’elle n’y a tout simplement pas matière à discuter dans le cadre d’une QPC.
Elle estime à ce sujet « qu’il n’existe pas, en l’état, d’interprétation jurisprudentielle constante autorisant le CHSCT d’une entreprise de travail temporaire à diligenter une expertise au sein d’une expertise utilisatrice, en application de l’article L4614-12 du code du travail, alors en vigueur, au titre d’un risque grave concernant les travailleurs mis à disposition de cette entreprise utilisatrice » (cf. Cass. Soc. 5 juin 2019, QPC, n° 18-22556).
Reste tout de même une légère ambiguïté : puisqu’il n’existe pas de jurisprudence constante, cette solution aurait-elle été la même si la question s’était posée en-dehors d’une QPC ?
Vu les arguments ci-dessus, il serait certainement discutable qu’une telle intrusion extérieure dans la gestion de l’entreprise cliente puisse être entérinée.
En pratique, cela doit être relativisé, sachant que l’expertise pourra finalement être tout aussi bien diligentée directement au niveau de l’entreprise utilisatrice, par son propre CSE.
Concernant la possibilité d’un déclenchement d’expertise à l’initiative de l’administration :
Dans un autre arrêt (Cass. Soc. 26 juin 2019, n° 17-22080), la Cour de cassation vient en revanche d’ouvrir une nouvelle voie aux expertises CHSCT/ CSE, sur le fondement de l’article L4721-1 du Code du travail, selon lequel : « Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, sur le rapport de l’agent de contrôle de l’inspection du travail mentionné à l’article L8112-1 constatant une situation dangereuse, peut mettre en demeure l’employeur de prendre toutes mesures utiles pour y remédier, si ce constat résulte :
1° D’un non-respect par l’employeur des principes généraux de prévention prévus par les articles L4121-1 à L4121-5 et L4522-1 ;
2° D’une infraction à l’obligation générale de santé et de sécurité résultant des dispositions de l’article L4221-1 [ à savoir selon l’article R4721-1 : conditions d’organisation du travail ou d’aménagement du poste de travail ; état des surfaces de circulation ; état de propreté et d’ordre des lieux de travail ; stockage des matériaux et des produits de fabrication ]. »
L’expression « toute mesure utile » est donc suffisamment large pour permettre d’imposer une expertise à l’employeur (en l’espèce, celui-ci s’était vu enjoindre de procéder à une évaluation des risques psychosociaux dans l’entreprise avec réalisation d’un diagnostic par un intervenant extérieur à désigner par le CHSCT).
Bien sûr, celui-ci peut alors exercer un recours hiérarchique devant le Ministre du travail afin de contester la légalité de cette mise en demeure.
S’agissant de la légalité dite interne de la décision, la question de l’appréciation de la situation dangereuse est au centre du débat.
Il est ici intéressant de noter que cette notion se démarque de celle de « risque grave ».
Pour autant en pratique, et faute de définition légale, un amalgame est souvent opéré entre danger et risque grave. Il nous semble toutefois que la nuance est loin d’être neutre et pourrait dans certains cas ouvrir des perspectives de discussion intéressantes au contentieux.
En tout état de cause, selon la Cour, le vote de désignation de l’expert par le CHSCT ne fait que s’inscrire dans le prolongement de la mise en demeure, et ne trouve ainsi pas son fondement dans la constatation d’un risque grave.
Elle en conclut qu’il est alors inutile pour l’employeur de chercher à démontrer une absence de risque grave, puisque l’on ne se situe pas dans le champ de l’article L4614-12 (ancien – cf. nouvel article L2315-94, 1°).
S’agissant d’une décision administrative du DIRECCTE, le recours obéit à un régime spécifique, logiquement distinct des nouvelles règles unifiées de contestation sur la nécessité de l’expertise, le choix de l’expert, le coût, la durée ou l’étendue de l’expertise (cf. C. Trav., L2315-86).
L’arrêt apporte ici une précision procédurale importante dans le silence des textes, à savoir :
- d’une part, le silence gardé par le Ministre pendant plus de 2 mois suite au recours de l’employeur vaut décision implicite de rejet du recours (référence au droit commun du contentieux administratif),
- d’autre part, à défaut de recours contentieux devant le Tribunal administratif dans les 2 mois de ce rejet implicite, la mise en demeure du Direccte devient définitive et ne peut plus être contestée devant le juge judiciaire (compte tenu en outre du principe de séparation des pouvoirs).
Il convient de retenir donc que la jurisprudence ouvre la voie à un régime d’expertise autonome et distinct de celui applicable classiquement en cas de risque grave, ce qui constitue une utilisation pour le moins originale de la technique de la mise en demeure.
Vu la place occupée par la question des RPS, on peut s’attendre à ce que cette pratique se développe.
S’il ne fait guère de doutes que le coût de l’expertise restera ici exclusivement à la charge de l’employeur, cette solution ne va pas sans poser d’autres questions tant sur le fond que sur la forme (obligation de désigner un expert habilité ? possibilité de cumul avec une expertise risque grave ? etc.).