Le 14 avril dernier, le tribunal judiciaire de Nanterre, saisi par SUD, avait ordonné à Amazon de limiter son activité aux marchandises essentielles (hygiène, médical, alimentaire), dans l’attente d’une évaluation des risques inhérents à l’épidémie sur ses entrepôts.
A la suite de cette décision, assortie d’une astreinte fixée à un million d’euros par jour et par infraction constatée, Amazon a fait appel et décidé de fermer ses entrepôts situés en France.
Le 24 avril, la cour d’appel de Versailles a confirmé l’ordonnance en ce qu’elle a ordonné à la société de procéder, en y associant les représentants du personnel, à l’évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de Covid-19 sur l’ensemble des entrepôts ainsi qu’à la mise en oeuvre des mesures prévues à l’article L. 4121-1 du Code du travail en découlant.
Les juges soulignent qu’il appartenait à Amazon de consulter son CSE central dans le cadre de l’évaluation des risques, comprenant la modification du DUER, puis la mise en oeuvre des mesures appropriées, sans écarter les CSE d’établissement qui devaient aussi être consultés.
Ils relèvent l’absence de prise en compte des risques psychosociaux dans l’évaluation effectuée par Amazon : « la société Amazon qui aurait pu solliciter des conseils extérieurs pour l’accompagner dans sa démarche ne justifie pas de sa volonté de procéder à une évaluation des risques de qualité à la hauteur des enjeux d’une pandémie, selon une approche pluridisciplinaire et en concertation étroite avec les salariés, premiers acteurs de leur sécurité sanitaire ».
Les mesures de sécurité prises par Amazon sont toujours jugées comme insuffisantes : « Bien qu’alertée par les syndicats représentatifs et les inspecteurs du travail, la direction de l’entreprise a pris des mesures au jour le jour, sans plan d’ensemble maîtrisé comme l’exigeaient le volume très important des effectifs présents sur chaque site, les mouvements de masse à l’occasion des rotations de personnel à la prise de chaque service (matin, après-midi, nuit et fins de semaine) et l’intervention d’entreprises extérieures, notamment les transporteurs routiers ».
Il est jugé qu’Amazon n’a pas satisfait à son obligation de formation qui doit être individualisée selon les postes de travail.
S’agissant des mesures mises en œuvre au cours des dernières semaines, notamment depuis la fermeture des sites, la cour d’appel salue la démarche mais relève que les DUER ne sont pas finalisés sur plusieurs sites et que le CSE central n’a pas été préalablement consulté.
Les mesures décidées par le juge de première instance sont toutefois assouplies sur deux points.
D’une part, s’il est de nouveau enjoint à Amazon de restreindre ses activités aux opérations de réception des marchandises, de préparation et d’expédition de certains produits, la liste des activités permises s’étoffe puisque les rayons concernés sont : high-tech, informatique, bureau ; « tout pour les animaux » dans la rubrique maison, bricolage, animalerie ; « santé et soins du corps », « homme », « nutrition », « parapharmacie » dans la rubrique « beauté, santé et bien-être » ; épicerie, boissons et entretien.
D’autre part, le montant de l’astreinte, pour chaque réception, préparation et/ou expédition de produits non autorisés, est réduit à 100 000 euros.
Cour d’appel de Versailles, 24 avril, communiqué Amazon
Cour d’appel de Versailles, 24 avril 2020, Amazon France Logistique SAS
Amazon a annoncé que ses entrepôts resteraient fermés jusqu’au mardi 28 avril inclus, les salariés continuant à bénéficier d’un maintien de leur rémunération.
La décision de la Cour d’appel, très motivée, rappelle l’obligation impérative pour les entreprises d’élaborer, sauf à engager leur responsabilité, un plan complet et national de prévention de la sécurité et de la santé des salariés et de consulter préalablement leurs représentants du personnel.
Elle souligne la nécessité non seulement d’informer et de former les salariés pour une parfaite application du plan de prévention, mais aussi d’actualiser les documents uniques d’évaluation des risques par établissement, sur un fondement juridique parfois incertain.
La Cour d’appel concilie en outre dans cette décision l’obligation de préserver la santé des salariés avec la nécessité d’assurer la survie des entreprises en maintenant un minimum d’activité économique.
Cette décision illustre une nouvelle fois les difficultés extrêmes auxquelles sont confrontées les entreprises qui doivent rechercher dans l’urgence des réponses proportionnées à un risque sanitaire sur lequel les connaissances scientifiques sont parfois lacunaires et souvent contradictoires.
Nous insistons sur l’importance du dialogue social dans l’élaboration et la mise en œuvre des plans de prévention mais ce dialogue social doit être mené de bonne foi par toutes les parties, et doit exclure toute instrumentalisation de la justice.
Dans le contexte actuel de préparation des plans de reprise d’activité et de mise à jour obligatoire des documents uniques, cette décision, comme celles de Paris (Tribunal judiciaire du 9 avril – La Poste) et de Lille (Tribunal judiciaire 24 avril, – société Carrefour Hypermarchés), lesquelles n’ont pas ordonné de fermeture ou de limitation d’activité, constituent un guide précieux pour l’action.