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Congés payés : le salarié doit en acquérir pendant un arrêt de travail pour maladie et sans limitation de durée pendant un accident de travail

Par une série de trois arrêts rendus le 13 septembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation, dans sa formation plénière, vient de mettre en conformité notre droit national avec le droit de l’Union Européenne qui prévoit que tout travailleur doit bénéficier d’une période annuelle de congés payés (article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement Européen et du conseil du 4 novembre 2003 ; article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux).

Désormais, lorsqu’un salarié se trouve en situation d’arrêt de travail, il doit acquérir des congés payés pendant toute la durée de son arrêt de travail qu’il soit d’origine professionnelle ou non professionnelle.

Le droit à congés payés devant être réalisé de manière effective, la perte de ces derniers, ne court qu’à compter de la date à laquelle l’employeur a permis au salarié d’exercer effectivement son droit.

Le cadre juridique interne relatif aux congés payés

Par principe, chaque salarié a droit, a minima, à 2,5 jours ouvrables de congés payés par mois de travail effectif chez le même employeur, sans que la durée totale du congé exigible ne puisse excéder 30 jours ouvrables.

Ces dispositions, prévues par l’article L.3141-3 du Code du travail, peuvent bien évidemment être améliorées par des dispositions conventionnelles, contractuelles ou des usages plus favorables.

Il résulte de la Loi que les congés payés s’acquièrent, en principe, en référence à du temps de travail effectif accompli chez l’employeur, c’est-à-dire pendant une période au cours de laquelle le salarié a effectivement accompli ses fonctions et fourni le travail convenu.

Toutefois, certaines périodes d’absence, bien que ne constituant pas du temps de travail effectif, sont assimilées, par la Loi, à du temps de travail effectif pour l’acquisition de congés payés.

Il en va ainsi des périodes d’absence limitatives suivantes (C. trav. art. L.3141-5) :

  • les périodes de congé payé,
  • les périodes de congé de maternité, de paternité et d’accueil de l’enfant et d’adoption,
  • les contreparties obligatoires sous forme de repos prévues aux articles L 312130, L 3121-33 et L 3121-38,
  • les jours de repos accordés au titre de l’accord collectif conclu en application de l’article L 3121-44,
  • les périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle,
  • les périodes pendant lesquelles un salarié se trouve maintenu ou rappelé au service national à un titre quelconque.

Aussi, et sauf dispositions conventionnelles, contractuelles ou usages plus favorables, seules les absences ci-avant limitativement énumérées ouvraient droit à l’acquisition de congés payés, sachant que seules les absences pour maladie ou accident d’origine professionnelle permettait d’acquérir des congés payés dans la limite d’un an.

Les absences pour maladie ou accident de droit commun n’ouvraient, quant à elles, pas à l’acquisition de congés payés pendant les périodes d’absence sauf dispositions plus favorables.

Les dispositions légales françaises non conformes au droit européen

Les dispositions de notre droit interne sur les congés payés sont en contradiction avec les dispositions du droit européen et de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), notamment en ce que chaque travailleur doit bénéficier annuellement de congés payés.

Il s’agit d’un principe essentiel du droit social de l’Union, qui résulte des dispositions de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement Européen et du conseil du 4 novembre 2003 ainsi que de l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux.

Ces dispositions n’opèrent aucune distinction selon que le travailleur a effectivement travaillé ou qu’il a été absent, tout ou partie, de l’année pour l’acquisition de congés payés.

C’est donc sur ce point que la Cour de cassation, qui avait déjà souligné, à plusieurs reprises, dans ses rapports précédents, la contradiction de notre droit interne, a décidé d’écarter les dispositions légales relatives aux congés payés contraires au droit européen et susceptibles de constituer une discrimination en raison de l’état de santé.

Dans deux des trois décisions rendues le 13 septembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation décide ainsi que :

  • le salarié en arrêt de travail pour maladie ou accident non professionnel doit acquérir des congés payés pendant ses périodes d’absence (Cass. Soc. 13 septembre 2023, n° 22-17.340, 22-17.341 et 22-17.342) comme c’est le cas pour les salariés qui accomplissent effectivement leur fonction,
  • le salarié en arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle doit acquérir des congés payés pendant toute la durée de son absence et ce, même si elle excède 1 an (Cass. Soc. 13 septembre 2023, n° 22-17.638).

Désormais, aucune distinction ne doit donc être opérée, pour l’acquisition de congés payés, entre les travailleurs pendant la vie du contrat de travail.

Le seul statut de « salarié » permettrait l’acquisition « automatique » d’un congé annuel sans que celui-ci ne soit la contrepartie d’un travail effectif.

Le délai de prescription

Ces nouvelles décisions concernant l’acquisition des congés payés pendant les périodes d’absence, qu’elles soient d’origine professionnelle ou non-professionnelle, sont susceptibles d’avoir des conséquences financières très importantes pour les entreprises qui n’appliquaient pas cette règle jusqu’à maintenant.

Se pose donc la question de savoir si ces principes jurisprudentiels peuvent être limités dans le temps ?

L’objectif est en effet de déterminer le point de départ du délai de prescription qui est applicable à une demande de rappel de salaire au titre des congés payés qui auraient dû être acquis pendant les périodes d’absence maladie.

Pour mémoire, une demande indemnitaire au titre des congés payés revêt une nature salariale de sorte qu’il convient, en principe, d’appliquer la prescription triennale permettant aux salariés de réclamer un rappel de salaire au titre des 3 dernières années uniquement.

Toutefois, dans sa dernière décision (Cass. Soc. 13 septembre 2023, n° 22-10.529), la Cour de cassation a considéré, sur le fondement des dispositions de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement Européen et du conseil du 4 novembre 2003, de la Charte des droits fondamentaux (art. 31§2) et de la jurisprudence de la CJUE, que le droit au congé annuel pour tout travailleur s’oppose à ce qu’une réglementation nationale puisse limiter la demande indemnitaire aux trois dernières années qui commence à courir à la fin de l’année au cours de laquelle ce droit est né, si l’employeur n’a pas mis en mesure le salarié de prendre effectivement ses congés payés.

Il en résulte que le point de départ de la prescription de l’indemnité de congés payés ne peut commencer à courir que si l’entreprise a pris des mesures nécessaires pour permettre aux salariés d’exercer effectivement son droit à congés payés.

Dans l’affaire qui lui a été soumise, la salariée n’ayant pas été mise en mesure par son employeur d’exercer effectivement son droit à congés payés, elle était en droit de solliciter un rappel de salaire au-delà de la prescription triennale.

Si, sur le plan juridique, ces décisions sont conformes au corpus juridique qui est le nôtre nécessitant que notre réglementation interne soit conforme à la règlementation européenne, elles constituent une insécurité juridique très importante pour les entreprises et employeurs qui doivent désormais composer avec ces règles qui auront des conséquences financières majeures.

Les conséquences du revirement

Toutes les entreprises sont concernées par la solution et doivent, dès à présent, s’y conformer et prendre en compte les périodes d’absence pour maladie pour déterminer le nombre de jours de congés annuels de leurs salariés.

Surtout, en l’absence de toute modulation dans le temps du revirement de jurisprudence, les services de ressources humaines vont inévitablement être confrontés à des demandes de régularisation de la part de salariés ayant vu leur droit à congés annuels limités en raison d’arrêts maladie.

Les entreprises et leurs conseils vont devoir réfléchir aux moyens de faire face à cette situation, moyens qui pourront notamment dépendre de leur taille, de leur organisation et du nombre des salariés concernés, afin d’éviter des tensions sociales et des risques de contentieux.

La principale interrogation, en cas de régularisation ou de contentieux, va concerner la détermination de la période pour laquelle les droits à congés sont dus aux salariés et la question de savoir si ces droits ne sont pas, pour partie, prescrits.

Si les droits à congés payés sont assimilés à des créances salariales et se prescrivent par trois ans à compter de l’expiration de la période où ils auraient dû être pris, la Cour de cassation a, dans un troisième arrêt du 13 septembre, restreint la possibilité pour l’employeur de se prévaloir de la prescription en la matière.

Se fondant, là encore sur une solution dégagée par la CJUE, la Chambre sociale a ainsi énoncé que :

« Lorsque l’employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé ».

L’employeur, confronté à une demande de rappel de congés, ne peut donc invoquer la prescription triennale que s’il justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent pour mettre le salarié en mesure de prendre ses congés.

On peut ici regretter que la Cour régulatrice se soit bornée à reprocher à la cour d’appel d’avoir limité les droits du salarié aux trois dernières années précédant la saisine du juge sans caractériser de diligences de la part de l’employeur.

La Chambre sociale n’apporte elle-même pas la moindre information quant à la nature des diligences légales susceptibles de permettre à l’employeur d’invoquer la prescription.

Peut-on considérer que l’employeur a effectué les diligences qui lui incombaient lorsqu’ont été déterminés l’ordre des départs et les périodes de congés des salariés et ce, nonobstant le fait que, conformément aux principes jusqu’alors applicables, les périodes d’arrêt maladie n’aient pas donné droit à congés ? Doit-on, au contraire, considérer, que l’employeur n’a, en se conformant aux règles du code du travail contraires au droit européen, jamais mis en mesure le salarié d’exercer ses droits, de sorte qu’aucune prescription n’est susceptible d’avoir couru ?

Cette question déterminante peut s’avérer problématique au moment d’envisager des régularisations en dehors de tout contentieux.

Par ailleurs, lorsque l’employeur n’a pas accompli les diligences permettant au salarié de bénéficier de ses droits à congés, la période pour laquelle la régularisation peut être demandée peut-elle être illimitée dans le temps et concerner l’intégralité de la relation de travail, quelle que soit la date d’entrée en fonction du salarié ?

Doit-elle, en toute hypothèse, être limitée à la période postérieure au 1er janvier 2009, date d’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne conférant une force obligatoire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, dont l’article 31 fonde le droit des travailleurs à l’acquisition de congés en cas d’arrêt maladie ?

Dans l’attente de nouvelles décisions de la Cour de cassation et d’une hypothétique intervention législative, il y a là des questions qui ne manqueront pas d’occuper les entreprises, les praticiens et les juridictions sociales dans les prochains mois.

https://www.courdecassation.fr/decision/65015d5fee1a2205e6581656

https://www.courdecassation.fr/decision/65015d62ee1a2205e6581658

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