Le télétravail a connu un essor sans précédent lors de la crise sanitaire et nombre de salariés travaillant à l’étranger sont revenus exercer leur activité en télétravail dans leur pays d’origine.
Cette situation était susceptible d’avoir un impact non négligeable s’agissant de la législation de sécurité sociale qui leur était applicable.
En effet, le règlement 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relatif à la coordination des systèmes de sécurité sociale prévoit que :
- la personne qui exerce une activité salariée dans un Etat membre est soumise à la législation de sécurité sociale de cet Etat membre,
- la personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs Etats membres est soumise à la législation de l’Etat membre de résidence si elle y exerce une partie substantielle de son activité, soit au moins 25 % de son activité.
Dans le cadre de la crise sanitaire, et sur le fondement de la force majeure, les États membres de l’Union européenne (UE) ont mis en place une période de flexibilité en faveur des travailleurs frontaliers et transfrontaliers qui exerçaient une part substantielle de leur activité en télétravail dans leur Etat de résidence, afin d’éviter un changement de législation applicable en matière de couverture sociale du fait d’un recours accru au télétravail.
Reconduite à plusieurs reprises, cette mesure de neutralisation des périodes de télétravail transfrontalier prend fin le 30 juin 2023.
Pour mettre en place des solutions pérennes en matière d’affiliation à la législation de sécurité sociale en cas de poursuite du télétravail transfrontalier au terme de la crise sanitaire, les Etats membres de l’UE ont conclu un accord cadre multilatéral sur le télétravail transfrontalier habituel.
Elaboré par un groupe ad hoc sur le télétravail issu de la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, cet accord tire les conséquences des nouvelles habitudes de travail hybride, alternant périodes de télétravail et périodes de travail en « présentiel », qui subsistent après la fin des restrictions de circulation liées à la pandémie.
Retour sur le contenu et les conditions d’application de cet accord-cadre.
Champ d’application géographique de l’accord-cadre
L’accord-cadre s’applique aux pays signataires de l’accord.
Au 28 juin 2023, sont signataires de cet accord : l’Allemagne, la Suisse, le Lichtenstein, la République Tchèque, l’Autriche, les Pays-Bas, la Slovaquie, la Belgique, le Luxembourg, la Finlande, la Norvège et le Portugal.
L’accord-cadre conclu pour une durée de cinq ans, renouvelable tacitement, entre en vigueur le 1er juillet 2023 pour les Etats qui l’ont signé avant cette date et le 1er jour du mois suivant la signature pour les Etats membres qui le signeront après cette date.
En outre, pour que ces dispositions puissent s’appliquer, les deux Etats concernés, (Etat de résidence et Etat d’implantation de l’entreprise) doivent être signataires de l’accord-cadre.
Salariés concernés
Sont considérés comme télétravailleurs dits « transfrontaliers » ceux dont l’activité :
- peut être exercée à partir de n’importe quel endroit, y compris dans les locaux de l’employeur ou sur son lieu d’activité,
- est exercée dans un ou plusieurs États membres autres que celui où sont situés les locaux de l’employeur ou le siège de l’entreprise,
- et s’appuie sur les technologies de l’information leur permettant de rester connecté à leur environnement de travail et de réaliser les tâches qui leur sont assignées par l’employeur ou les clients.
Cette définition large implique que le lieu du télétravail ne doit pas nécessairement être le domicile du salarié.
Sont donc exclus du bénéfice de ce régime, les personnes qui :
- n’exercent pas habituellement de télétravail dans leur Etat de résidence,
- réalisent du télétravail mais dans un pays qui n’est pas signataire de l’accord-cadre,
- sont travailleurs indépendants.
Un régime plus favorable pour les télétravailleurs transfrontaliers de l’UE
L’accord s’inscrit dans le cadre fixé par l’article 16§1 du règlement CE n°883/2004, qui permet à deux ou plusieurs Etats membres, de « prévoir d’un commun accord, dans l’intérêt de certaines personnes ou catégories de personnes » des dérogations aux règles d’assurance prévues par les articles 11 à 15 du règlement.
A cet égard, l’article 14§8 du règlement n°987/2009 du 16 septembre 2009 prévoit que les salariés qui exercent moins de 25 % de leur activité dans leur Etat de résidence sont soumis à la législation sociale du pays dans lequel se situe l’entreprise.
Au-delà de cette limite, le salarié est soumis au régime applicable dans l’Etat de résidence.
Désormais, l’accord élargit les possibilités de maintien de l’affiliation au régime de sécurité sociale de l’Etat du siège social de l’entreprise, si le salarié remplit les trois conditions cumulatives suivantes
- l’Etat de résidence du salarié diffère de l’Etat du siège social ou du lieu d’établissement de son employeur,
- la part de télétravail réalisé dans l’Etat de résidence est inférieure à 50 % du temps de travail total du salarié,
- la demande est formulée par le salarié ou par l’employeur.
La demande sera déposée sur une plateforme dématérialisée et donnera lieu à la délivrance d’un certificat A1 par l’Etat du siège social de l’employeur qui en informera l’Etat de résidence du télétravailleur.
Il résulte de ce qui précède que, si aucune demande n’est formulée par le salarié ou par son employeur pour l’application de l’accord cadre, les règles définies par le règlement 883/2004 continuent à s’appliquer.
Quelle application en France ?
La liste des Etats signataires est mise à jour en temps réel sur le site belge de la Sécurité Sociale, Etat dépositaire de l’accord.
Le Royaume-Uni a d’ores et déjà indiqué qu’il ne signerait pas cet accord.
Interrogé lors des questions d’actualité au Gouvernement, le 15 juin 2023, sur l’éventuelle ratification de cet accord par la France, le ministre du Travail a indiqué qu’une décision serait prise dans les prochains jours après une évaluation des « impacts de cet accord en termes de recettes provenant des cotisations sociales, des dépenses liées aux indemnités de chômage, mais également en matière d’externalités et de recrutement dans les bassins d’emploi concernés.»
L’application de l’accord aux salariés concernés suppose que les deux états en cause soient également signataires de cet accord.
A défaut, la situation demeure régie par les dispositions du règlement 883/2004.
Un communiqué de presse du Ministère du travail en date du 30 juin vient de préciser que la France sera signataire de cet accord sans en préciser la date et qu’une première évaluation des conséquences de la signature de cet accord sera effectuée à l’issue d’une période de 6 mois.
Il convient de noter enfin que si l’entrée en vigueur de l’accord cadre apporte de nouvelles souplesses en matière de législation de sécurité sociale applicable aux télétravailleurs transfrontaliers, les difficultés demeurent s’agissant des règles de droit du travail et de droit fiscal applicables à ces travailleurs.