Le sinistre survenu à ROUEN le 26 septembre 2019 constitue un événement marquant dans l’histoire des accidents industriels majeurs en France.
Si fort heureusement, aucun accident du travail n’est directement survenu, le nombre de victimes collatérales s’annonce élevé, dans un contexte nouveau où les réseaux sociaux alimentent en temps réel les inquiétudes de la population.
Cet événement questionne aussi bien la responsabilité des exploitants concernés que des autorités publiques, dont la bonne synergie est capitale en matière de maîtrise des risques technologiques.
En réaction à cet événement, l’Etat vient au plus haut niveau de lancer une campagne de sensibilisation auprès des exploitants d’établissements classés SEVESO seuil bas et seuil haut.
Un message de rappel aux exploitants : les risques de l’impréparation aux événements
Une instruction du Ministère de la transition écologique et solidaire du 2 octobre 2019 dresse une feuille de route pour les services déconcentrés de l’Etat en charge du suivi des installations classées.
Dans l’attente de pouvoir tirer des enseignements des conclusions de l’enquête accident à venir (qui déboucheront probablement sur des évolutions réglementaires visant à renforcer le cadre sécuritaire), l’objectif immédiat est de prévenir de nouveaux accidents.
La première particularité de cet événement tient à la survenance du fait générateur de nuit, sur une période où la résilience organisationnelle de l’entreprise est généralement moindre.
Le fil rouge de cette campagne est d’assurer une bonne préparation des accidents, ce qui incombe en premier lieu aux exploitants.
L’instruction insiste ainsi à juste titre sur l’importance d’une réactivité dans les premières minutes, en termes de détection, d’alerte et de mise en œuvre des moyens de secours.
Cela rappelle un autre événement, celui survenu le 15 avril 2019 à la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Au-delà de la forte médiatisation de ces affaires, il s’agit de retours d’expérience importants, qui mettent en lumière le fait que quelle que soit le niveau de conformité aux obligations réglementaires, celle-ci ne préjuge pas de la sécurité réelle.
Celle-ci passe notamment par l’efficacité opérationnelle des mesures de prévention.
Sans doute est-ce là un axe sur lequel les contrôles seront renforcés.
La responsabilité de l’employeur de préparer son personnel aux situations d’urgence
En particulier, les exploitants devront pouvoir justifier de leurs diligences, et du fait qu’au-delà des mesures à caractère technique mises en oeuvre, ils ont effectivement bien préparé leurs équipes à la gestion d’alertes, notamment sur les périodes d’activité plus réduites (ce qui vise ici les nuits, mais également les week-ends, jours fériés, ponts, etc.).
Cette préparation implique des actions de formation, d’information et d’entraînement, non limitée aux seuls services de secours.
Il convient de rappeler qu’au regard de la législation du travail, l’employeur doit non seulement informer son personnel sur les risques et les mesures en matière de santé et de sécurité, mais également sur les risques que peuvent faire peser sur la santé publique et l’environnement les produits ou procédés de fabrication utilisés dans l’établissement.
A cela s’ajoute la question du contrôle et de surveillance, de l’application des consignes, qui peut typiquement conduire ici à la mise en oeuvre du pouvoir disciplinaire en cas de comportement dangereux.
La co-responsabilité des partenaires sociaux au sein de l’entreprise dans la contribution à la maîtrise des risques technologiques : un rôle de vigie interne ?
Le rôle des travailleurs de l’entreprise, ainsi que ce ceux des entreprises extérieures intervenantes, apparaît donc comme capital, ce qui nécessite de bien intégrer la dimension du facteur humain et d’assurer une parfaite coordination des mesures de prévention.
A cet égard, lorsqu’un plan de prévention des risques technologiques (PPRT) a été prescrit, le Préfet institue une instance spéciale, le CISST (comité interentreprises de santé et de sécurité au travail – à ne pas confondre avec la CSSCT), qui représente tous les établissements situés dans son périmètre et susceptibles d’être soumis à des servitudes d’utilité publique.
Celui-ci contribue à la prévention des risques professionnels susceptibles de résulter des interférences entre les activités et les installations des différents établissements concernés (« coactivités »).
Plus généralement, dans ces établissements (mettons ici de côté les INB – installations nucléaires de base), les nouveaux Comités sociaux et économiques disposent d’attributions spécifiques, en complément de leurs prérogatives classiques en matière de santé et de sécurité au travail.
Celles-ci doivent être bien prise en compte, sachant qu’elles participent d’un bon niveau de préparation aux accidents.
- Des attributions consultatives spécifiques
En particulier, le Code du travail prévoit que le CSE doit être informé et consulté pour avis :
o sur le dossier de demande d’autorisation d’exploitation de l’installation,
o sur la teneur des informations transmises au Préfet dans le cadre de la demande d’autorisation environnementale (ou en cas de transfert de celle-ci),
o sur la liste des postes de travail liés à la sécurité de l’installation établie par l’employeur (celle-ci distinguant : les postes qui ne peuvent être confiés à des salariés sous CDD ou intérimaires/ les postes destinés à être occupés par les salariés de l’établissement / Les postes dont les tâches exigent la présence d’au moins 2 personnes qualifiées),
o sur le POI (plan d’opération interne) applicable en cas de sinistre, et dont l’objet est de définir les mesures d’organisation, les méthodes d’intervention et les moyens nécessaires que l’exploitant doit mettre en œuvre pour protéger le personnel, les populations et l’environnement,
o sur les programmes de formation, notamment en matière de formation renforcée à la sécurité des CDD et intérimaires (postes à risques particuliers), ainsi que pour les établissements SEVESO, sur la formation obligatoire aux risques à destination des chefs d’entreprises extérieures et de leurs salariés ainsi que des travailleurs indépendants appelés à intervenir dans l’entreprise utilisatrice,
o avant toute décision de sous-traiter une activité, jusqu’alors réalisée par les salariés de l’établissement, à une entreprise extérieure appelée à réaliser une intervention pouvant présenter des risques particuliers en raison de sa nature ou de la proximité de l’installation.
Il convient de rappeler que ces consultations ne peuvent être dévolues à la CSSCT (dont la mise en place est obligatoire dans les CSE d’établissements à hauts risques visés à l’article L4521-1 du Code du travail, quel que soit l’effectif de l’entreprise).
- Des attributions informatives spécifiques
Le CSE doit par ailleurs être spécifiquement informé par l’employeur :
o sur les prescriptions imposées pour l’exploitation des ICPE soumises à autorisation,
o sur les documents destinés aux autorités publiques chargées de la protection de l’environnement,
o à la suite de tout incident qui aurait pu entraîner des conséquences graves.
Il peut alors procéder à l’analyse de l’incident et proposer toute action visant à prévenir son renouvellement (le suivi de ces propositions doit faire l’objet d’un examen dans le cadre de la consultation annuelle du CSE sur la politique sociale, qui inclut la présentation du bilan de la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail dans l’entreprise et des actions menées, ainsi que du programme annuel de prévention et d’amélioration des conditions de travail).
• Des prérogatives d’alerte spécifiques
Les membres du CSE peuvent en outre exercer un droit d’alerte spécifique en cas de danger grave et imminent, ainsi qu’en cas de risque grave pour la santé publique ou l’environnement.
De manière plus générale, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le CSE doit être obligatoirement réuni à l’initiative de l’employeur à la suite de tout accident ayant entraîné ou ayant pu entraîner des conséquences graves, ainsi qu’en cas d’événement grave lié à l’activité de l’entreprise, ayant porté atteinte ou ayant pu porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement, ainsi que sur demande motivée de 2 membres du CSE pour aborder des sujets relevant de la santé, de la sécurité ou des conditions de travail.
Il convient de préciser qu’en cas de défaillance, le CSE peut être convoqué sur demande de la majorité de ses membres par l’Inspecteur du travail, qui assure alors la présidence de la réunion.
- Des prérogatives d’expertise spécifiques
Par ailleurs, le CSE peut faire appel à un expert en risques technologiques, soit à l’occasion de la demande d’autorisation administrative (avec restitution avant la clôture de l’enquête publique), soit en cas de danger grave en rapport avec l’installation classée (avec restitution du rapport sous 45 jours).
Cette expertise ne se confond pas avec la possibilité de recours à l’expert habilité en cas de risque grave constaté dans l’établissement, ou projet de modification importante des conditions de travail, de santé ou de sécurité.
La jurisprudence veille d’ailleurs à bien faire la différence, et refuse au CSE (ex-CHSCT) la possibilité de recourir à un expert en risques technologiques au seul motif que l’activité de l’établissement est à hauts risques ; l’instance doit démontrer l’existence d’un danger grave en lien avec l’installation classée, retenant en l’occurrence que le recours accru à la sous-traitance par un établissement classé SEVESO II seuil haut n’impliquait pas nécessairement l’existence d’un tel danger grave (Cass. Soc. 15 janvier 2013, n° 11-27679).
- Des prérogatives d’action en justice
Cela est à mettre en parallèle avec une autre jurisprudence célèbre sur l’externalisation d’activités dans des établissements à hauts risques, pour laquelle les tribunaux ont pu être amenés à suspendre une mesure de réorganisation au motif « que l’employeur est tenu, à l’égard de son personnel, d’une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs ; qu’il lui est interdit, dans l’exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés » (Cass. Soc. 5 mars 2008, n° 06-45888).
Devant les prétoires, les affaires d’accident font quasi-systématiquement ressortir le fait que le niveau de maîtrise des risques est très « socio-dépendant » et sensible à la qualité des conditions de travail du personnel.
L’interaction avec les représentants du personnel et la responsabilisation de tous les acteurs peut faire la différence.