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NEUTRALITE ET LIBERTE VESTIMENTAIRE AU TRAVAIL

La liberté de religion est l’un des piliers fondamentaux de toute société démocratique.

Elle est proclamée par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, par l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, ainsi que par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris par la Constitution du 4 octobre 1958, énonce par ailleurs que : « Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. »

Cette liberté se trouve en outre directement consacrée dans l’entreprise par deux textes : l’article L. 1321-3, 3°, du Code du travail qui dispose que le règlement intérieur ne peut pas discriminer les salariés en raison de leurs convictions religieuses et l’article L. 1132-1 du Code du travail qui prohibe toute sanction ou tout licenciement en raison des « convictions religieuses » du salarié.

Toutefois, si la liberté de religion et de croyance est considérée comme absolue par les textes internationaux, européens et français, la liberté de manifester sa religion peut être limitée dans des circonstances encadrées, afin de pouvoir être conciliée avec d’autres principes ou libertés d’égale valeur.

Dans les entreprises de service public, la liberté de manifester sa religion est confrontée au principe de laïcité et à son corollaire, le principe de neutralité.

Ce dernier interdit aux agents de manifester leurs convictions notamment religieuses dans le cadre de leur activité.

L’intérêt de l’entreprise prime sur la liberté religieuse.

Peu importe que le salarié soit ou non en contact avec la clientèle, le public ou les usagers.

Le fait d’arborer des signes religieux est interdit aux agents dans l’exercice de leurs fonctions dans la mesure où ils constituent une violation de la neutralité du service public.

La manifestation de ses croyances constitue pour un agent du service public une faute lorsqu’elle s’exprime dans le cadre de ses fonctions.

Cette faute peut éventuellement se traduire par une sanction qu’il appartient à l’administration de déterminer en tenant compte des circonstances de l’espèce.

Il faut toutefois remarquer que la nature et le degré du caractère ostentatoire ou provocateur du signe religieux porté par l’agent concerné sont pris en compte, dans un souci de proportionnalité.

Les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé.

En effet, la Cour de cassation a jugé dans l’arrêt « CPAM Seine-Saint-Denis » du 19 mars 2013 que les salariés des organismes de droit privé, même s’ils relèvent du Code du travail, sont soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public.

Ces contraintes leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses (ou leurs convictions politiques) par des signes extérieurs, notamment vestimentaires.

Dès lors, la Cour a considéré que le licenciement d’une salariée qui refusait de retirer son voile islamique était fondé.

Dans le cadre de l’entreprise privée n’exerçant pas une mission de service public, il en va différemment, puisque les principes de laïcité et de neutralité ne s’appliquent pas.

Le principe est ici la libre manifestation de sa religion.

Les salariés peuvent dès lors exprimer leur conviction religieuse à l’intérieur de l’entreprise.

Toutefois, la loi et la jurisprudence sont venues limiter cette libre manifestation afin de trouver un équilibre entre cette liberté, la liberté des autres et la bonne marche de l’entreprise :

  • l’article L. 1121-1 du Code du travail dispose que : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.»

Il est donc possible de limiter l’exercice de la liberté religieuse si la restriction apportée est justifiée et proportionnée.

  • l’article L. 1133-1 du Code du travail énonce quant à lui que : « L’article L. 1132-1 [relatif au principe de non-discrimination en raison des convictions religieuses notamment] ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée »

  • en outre, l’article L. 1321-3, 2° et 3° pose le principe que le règlement intérieur ne peut apporter de restrictions à l’exercice d’une liberté fondamentale qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché

  • enfin et surtout, la question du fait religieux connait un nouveau développement avec la loi Travail du 8 août 2016 qui introduit dans le Code du travail l’article L. 1321-2-1 ainsi rédigé : « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché »

  • par ailleurs, dans deux espèces concernant la possibilité pour l’employeur de licencier une salariée portant un voile islamique lors de ses contacts avec les clients de l’entreprise, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu en mars 2017 deux arrêts très attendus sur le port de signes religieux en entreprise

  • dans le prolongement de ces deux arrêts et suite à la question préjudicielle qu’elle avait posée à la CJUE, dans l’affaire C-188-15, la Cour de cassation a repris en droit interne les règles posées par la CJUE.

C’est en conséquence au regard des deux arrêts de la CJUE et de l’arrêt de la Cour de cassation précités qu’il convient d’apprécier les conditions de validité d’une clause de neutralité.

L’analyse faite en 2017 par l’institut Randstad et l’Observatoire du fait religieux permet de constater une stagnation du fait religieux dans l’entreprise par rapport à 2016 (en 2016 et 2017, la question du fait religieux a été observée de manière régulière ou occasionnelle par 65 % des personnes interrogées, contre 50 % en 2015) et l’existence de faits conflictuels dans 7,5 % des cas.

Il est donc important, pour les entreprises pouvant être amenées à gérer un conflit de libertés en son sein, d’anticiper ces difficultés en se dotant des moyens nécessaires pour faire cohabiter de façon harmonieuse les libertés religieuses, la liberté d’entreprendre et le bon fonctionnement de l’entreprise.

Pour y parvenir, il est indispensable que le DRH insère une clause de neutralité dans le règlement intérieur de l’entreprise, en veillant à ce que celle-ci soit justifiée et proportionnée pour être opposable à l’ensemble des salariés.

1. Obligations imposées ou non par le règlement intérieur

          1.1 Impératifs de santé et de sécurité

La manifestation de leurs convictions religieuses par les salariés des entreprises privées a toujours pu être restreinte par leur obligation de respecter les règles de santé et de sécurité.

Il suffira que la règle de santé ou de sécurité soit mentionnée dans le règlement intérieur ou dans une note de service annexée, pour que son non-respect soit sanctionnable en tant que telle.

Il n’est ainsi pas nécessaire d’ajouter expressément dans le règlement intérieur, pour que le salarié puisse être sanctionnable, que le droit pour le salarié de manifester ses convictions ne saurait l’exonérer du respect de la règle de santé ou de sécurité.

En effet, le salarié a l’obligation de prendre soin de sa santé et de celle de ses collègues, conformément à l’article L. 4122-1 du Code du travail : « Conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur, dans les conditions prévues au règlement intérieur pour les entreprises tenues d’en élaborer un, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. »

Le salarié ne peut s’exonérer de cette obligation impérative de santé ou de sécurité par des considérations relevant de sa vie privée, comme par exemple son droit personnel de manifester ses convictions.

Préconisations

Pour autant et afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur l’absence possible de dérogation au respect de la règle, et afin d’éviter tout risque juridique inutile, il conviendrait par exemple d’écrire que : « Le respect des règles de sécurité est fondamental et aucune dérogation pour quelque cause que ce soit ne pourra y être apportée, notamment pour la manifestation des convictions personnelles. »

et/ou

« Le port du casque (ou de la charlotte) est obligatoire et le port de tout accessoire faisant obstacle au respect de cette obligation est interdit. »

et/ou

« Pour le personnel de cuisine, le port de la barbe est interdit pour des raisons d’hygiène. »

et/ou

« Les lieux collectifs, vestiaires, salles de repos, salles de restauration… ne pourront pas être détournés de leur finalité et utilisés à d’autres fi ns, notamment pour des réunions ou manifestations de convictions quel qu’en soit la nature. »

Ainsi, ne sera pas seulement visée la manifestation des convictions du salarié mais, d’une manière plus générale, tout ce qui fait obstacle au respect de la règle d’hygiène, de santé et de sécurité (accessoires, bijoux, vêtements non liés à l’expression de convictions).

Ce faisant le risque de discrimination directe sera écarté.

          1.2 Obligations contractuelles

Quant aux restrictions apportées à la manifestation du salarié de ses convictions dans l’exécution de son contrat, elles n’ont pas à être prévues par le règlement intérieur, lequel ne traite pas de l’exécution du contrat de travail.

Par ailleurs, le DRH n’est pas tenu d’adapter les tâches du salarié à ses convictions personnelles.

À titre d’exemple, si un salarié de confession musulmane, qui a la qualité de boucher, a décidé de ne plus toucher à la viande de porc pour des raisons religieuses au cours de son activité, il ne pourra pas cesser son travail au prétexte qu’il est contraire à ses convictions.

Il a ainsi été jugé par la Cour de cassation que « s’il est exact que l’employeur est tenu de respecter les convictions religieuses de son salarié, celles-ci, sauf clause expresse, n’entrent pas dans le cadre du contrat de travail et l’employeur ne commet aucune faute en demandant au salarié d’exécuter la tâche pour laquelle il a été embauché, dès l’instant que celle-ci n’est pas contraire à une disposition d’ordre public ».

Le non-respect par un salarié de ses obligations contractuelles pourra donc justifier son licenciement, sans la moindre mention d’une restriction dans le règlement intérieur.

Il en va différemment des restrictions qui ne seraient pas justifiées par les règles d’hygiène, de santé ou de sécurité ou par le respect du contrat.

Et c’est là le domaine de la clause de neutralité.

Certains commentateurs intègrent cependant dans la clause de neutralité les restrictions liées aux exigences de santé, d’hygiène et de sécurité au travail, au titre de l’exercice d’autres libertés fondamentales, en l’occurrence le droit à la santé de chaque salarié.

Pour autant, ces dérogations jurisprudentielles existaient avant même que cette notion apparaisse.

          1.3 Principe de neutralité

Comme il vient d’être préalablement indiqué, l’article L. 1321-2-1 du Code du travail prévoit que le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées :

  • par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux,

  • ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise,

  • et si elles sont proportionnées au but recherché.

Par une telle clause, le DRH pourrait restreindre les expressions relatives à une opinion religieuse, politique ou philosophique, à condition que ces restrictions soient justifiées et proportionnées.

Ni les débats parlementaires, ni la jurisprudence européenne, ni la Cour de cassation ne font référence à la manifestation de convictions syndicales, mais cette question mérite cependant d’être posée.

L’intégration de ce principe de neutralité des salariés dans le règlement intérieur aura une conséquence importante : la violation par un salarié de l’obligation de neutralité pourrait justifier une sanction disciplinaire.

Cette dernière pourrait toutefois être annulée par les juges si les restrictions à la manifestation des convictions des salariés étaient injustifiées ou disproportionnées, et pourrait être alors jugée discriminatoire.

Concernant les restrictions à la manifestation des convictions des salariés, la loi française prévoit que la restriction à une liberté fondamentale doit être nécessairement mentionnée dans le règlement intérieur, ce qui est conforme à la jurisprudence européenne qui, elle, fait référence à l’existence d’une règle interne préalable.

C’est ce qui ressort des deux arrêts de la CJUE du 14 mars 2017 et de l’arrêt de la Cour de cassation du 22 novembre dernier portant sur des faits antérieurs à la loi.

Dans le premier arrêt de la CJUE, la règle interne existait préalablement au litige et elle était connue du salarié préalablement à l’embauche.

La question du formalisme particulier du règlement intérieur français était hors sujet s’agissant en l’occurrence d’un litige de droit belge.

La CJUE admet ainsi, dans cette décision, que la règle interne d’une entreprise interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux ne constitue pas une discrimination directe ou indirecte.

Elle considère, dans le deuxième arrêt, qu’en l’absence de règle interne la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits du client de ne plus voir ses services assurés par une salariée portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle de nature à écarter l’existence d’une discrimination.

Dans cette décision, la règle n’est apparue qu’a posteriori à l’occasion d’une plainte du client.

La Cour de cassation, à l’origine de la question préjudicielle portée devant la CJUE dans cette seconde affaire, reprend cette règle, tant dans sa note explicative que dans l’arrêt : « Aucune clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail n’était prévue dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur en application de l’article L. 1321-5 du Code du travail », « le licenciement pour faute prononcé en raison du non-respect d’un ordre oral donné à une salariée et visant un signe religieux déterminé a été analysé comme une discrimination directe. Aucune contrainte objective ne s’opposant à ce que des fonctions d’ingénieur en informatique soient assurées par une salariée portant un foulard, cette discrimination directe ne pouvait être justifiée ».

Il est donc constant que l’entreprise de droit privé qui souhaite restreindre la manifestation des convictions de ses salariés doit impérativement insérer une clause de neutralité dans le règlement intérieur en respectant le formalisme ad hoc.

2. Rédiger la clause de neutralité

          2.1 Justifier la restriction

Les causes de restrictions prévues par le législateur sont : l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux et les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise.

Il faut donc commencer par s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’entreprise souhaite restreindre en son sein la manifestation des convictions de ses salariés et par vérifier si ces raisons sont juridiquement fondées.

La neutralité ne doit et ne peut pas être une posture idéologique.

L’exigence de neutralité doit pouvoir se justifier par des raisons objectives et non discriminatoires.

La neutralité résultant de l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux est difficile à appréhender en l’absence de précisions apportées par le législateur.

Les commentateurs favorables à l’inclusion dans le périmètre de la clause de neutralité de questions d’hygiène et de sécurité y voient le droit fondamental de tout salarié à la santé et à la sécurité.

Même si cette motivation n’est pas celle de la Cour de cassation, on peut penser à l’arrêt Baby Loup et à la liberté de conviction des parents qui ont un droit légitime à ne pas voir garder leurs jeunes enfants dans un environnement qui ne serait pas neutre et qui ne respecterait pas la conscience en éveil de ceux-ci, pour reprendre la motivation de la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 27 novembre 2013.

La Cour européenne des droits de l’Homme a de son côté admis dans d’autres circonstances qu’il pouvait être nécessaire d’assortir la liberté de manifester sa religion ou ses convictions de limitations propres à assurer le respect des convictions de chacun.

Les débats parlementaires font référence à « l’égalité, et notamment l’égalité entre les hommes et les femmes ».

Ce droit à l’égalité permettrait dans le cadre de la clause de neutralité d’interdire toute manifestation de conviction discriminante (refus de serrer la main d’une femme, refus de s’asseoir sur un siège occupé précédemment par une femme).

Mais, dans ces deux exemples, l’insertion d’une clause de neutralité dans le règlement intérieur n’est pas, selon nous, indispensable pour sanctionner l’agissement sexiste dans le premier cas et/ou pour procéder à un licenciement pour faute contractuelle dans le second.

On pense bien évidemment à la liberté d’entreprendre expressément visée par l’Avocate générale Madame Kokott.

Celle-ci explique très bien, dans l’affaire C-157/15, G4S Secure Solutions, que la liberté d’entreprendre de l’employeur, qui est aussi une liberté fondamentale à respecter, lui permet d’exiger de ses salariés une attitude de neutralité dans leurs rapports avec ses clients, afin d’éviter que l’affichage de leurs convictions n’interfère sur la relation commerciale.

Tant dans sa note explicative que dans son arrêt du 22 novembre dernier, la Cour de cassation, de façon plus restrictive que la CJUE, limite la portée de la clause de neutralité aux seuls salariés se trouvant en contact avec les clients : « Attendu qu’il résulte de l’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur […] une clause de neutralité interdisant le port du voile de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients. »

Pourtant, ce qui est vrai pour les clients devrait l’être pour les prospects et, à notre sens également, vis-à-vis de tout tiers, face auquel le salarié est en situation de représentation de l’entreprise.

Mais ceci allant au-delà de ce qui figure dans la note explicative de la Cour de cassation, seule l’évolution de la jurisprudence nous dira ce qu’il en est.

Cette liberté d’entreprendre rejoint la question du bon fonctionnement de l’entreprise visé dans l’article L. 1321-2-1 du Code du travail (voir ci-dessus).

Cette innovation législative pose des problèmes de définition.

En effet, que faut-il entendre exactement par « nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise » ?

La question de l’image de l’entreprise dans ses rapports avec ses clients étant déjà traitée par le biais de la liberté d’entreprendre, cette notion recouvre autre chose.

On peut penser au respect de l’organisation du travail, mais cette obligation est une obligation contractuelle.

On peut penser au respect des espaces de travail dont le détournement à des fi ns de manifestations de convictions personnelles perturberait le fonctionnement de l’entreprise.

On peut également penser à la nécessité de neutraliser les conflits communautaires ou religieux qui peuvent exister à l’intérieur de certaines entreprises ou de certains services, cette clause de neutralité ayant dès lors pour objectif de favoriser la diversité et le vivre ensemble et d’éviter des troubles dans le fonctionnement de l’entreprise. Il s’agissait là d’une des raisons invoquées par l’entreprise Paprec dans la mise en place de sa Charte de la laïcité et de la diversité.

Les débats parlementaires ont ainsi fait référence à plusieurs reprises à la nécessité d’« éviter certaines tensions et [d’]assurer au sein de l’entreprise un véritable vivre ensemble », ou encore d’apporter « de la sécurité à des situations de plus en plus nombreuses ».

Mais ces débats ne visaient que l’objectif de la clause et ne définissaient pas pour autant la notion de « bon fonctionnement ».

Dans le silence de la loi, ce sera donc à la jurisprudence de le préciser.

Pour raisonner par analogie avec les règles du secteur public, il est possible de se référer à un avis du 27 novembre 1989 rendu par l’assemblée générale du Conseil d’État, définissant les restrictions possibles à l’exercice de la liberté religieuse au sein des établissements scolaires.

L’assemblée générale du Conseil d’État considère ainsi que la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses ne saurait permettre aux élèves d’arborer des signes qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif :

  • constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande,

  • porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres membres de la communauté éducative,

  • compromettraient leur santé ou leur sécurité,

  • perturberaient le déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants,

  • enfin, troubleraient l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service public.

Ces limites peuvent tout à fait être transposées au sein des entreprises sachant que leur champ est plus large que celui de la clause de neutralité, puisque les pressions, les provocations, le prosélytisme et la propagande relèvent de l’abus, alors que la clause de neutralité limite la manifestation normale des convictions et qu’ainsi que précédemment exposé les questions de santé et de sécurité transcendent à notre sens cette notion de neutralité.

          2.2 Ne pas viser que les seules convictions religieuses

Après avoir identifié les raisons qui conduisent à la nécessité de respecter ce principe de neutralité, le DRH ne peut pas limiter ces restrictions aux seules convictions religieuses, ni bien évidemment ne viser qu’une seule manifestation de conviction religieuse, en interdisant par exemple le seul port du voile, ce qui constituerait une discrimination directe à l’égard des femmes musulmanes.

Ce sont donc toutes les manifestations de conviction qui devront être visées.

Et c’est ce qui ressort des deux arrêts précités de la CJUE.

Dans l’affaire belge, il n’y avait pas de discrimination directe, car toutes les convictions étaient visées et non simplement les convictions religieuses : « En l’occurrence, la règle interne en cause au principal se réfère au port de signes visibles de convictions politiques, philosophiques ou religieuses, et vise donc indifféremment toutes manifestations ou telles convictions.

« Ladite règle doit dès lors être considérée comme traitant de manière identique tous les travailleurs de l’entreprise en leur imposant de façon générale et indifférenciée, notamment une neutralité vestimentaire s’opposant au port de tels signes. »

Seule se posait donc la question de la discrimination indirecte, puisque cette restriction, sous une apparence neutre, pouvait de fait cibler particulièrement les femmes musulmanes.

Mais cette discrimination indirecte n’a pas été retenue, car la mesure a été considérée comme justifiée et proportionnée.

En revanche, dans l’affaire française de la CJUE et l’arrêt de la Cour de cassation, seul était interdit le port du voile, ce qui caractérisait une discrimination directe.

Exemples de dispositions à proscrire

Ainsi seraient évidemment nulles, car discriminatoires, les clauses du règlement intérieur libellées de la manière suivante : « En raison du principe de neutralité mentionné à l’article <> du présent règlement, il est recommandé aux femmes de s’abstenir de porter tout vêtement ou accessoire pouvant être regardé comme un symbole religieux. »

Seules les convictions religieuses et les femmes sont concernées par cette disposition.

ou

« En raison du principe de neutralité mentionné à l’article <> du présent règlement, les femmes de confession musulmane sont informées que le port du foulard n’est pas toléré dans l’entreprise. »

Seule la religion musulmane est visée. La discrimination directe est donc flagrante.

          2.3 Respecter la règle de proportionnalité

La restriction apportée par la clause de neutralité aux libertés individuelles doit non seulement être justifiée par des raisons objectives, mais également être proportionnée au but recherché.

Ainsi, une interdiction générale de manifester ses convictions serait nulle, sauf exception.

À titre d’exemple, le fonctionnement particulier de Baby Loup où toutes les salariées étaient en contact avec les enfants.

Il faut donc limiter la restriction aux populations concernées par l’objectif visé.

C’est ainsi que dans l’affaire belge la CJUE rappelle que : « S’agissant en premier lieu de la condition relative à l’existence d’un objective légitime, il convient de relever que la volonté d’afficher, dans les relations avec les clients tant publics que privés, une politique de neutralité politique, philosophique ou religieuse doit être considérée comme légitime.

« En effet, le souhait d’un employeur d’afficher une image de neutralité à l’égard des clients se rapporte à la liberté d’entreprise reconnue à l’article 16 de la Charte et revêt en principe un caractère légitime, notamment lorsque seuls sont impliqués par l’employeur, dans la poursuite de cet objectif, les travailleurs qui sont supposés entrer en contact avec les clients. »

C’est ce que reprend la Cour de cassation dans son arrêt du 22 novembre dernier.

Les travailleurs en contact avec les clients de l’entreprise peuvent légitimement se voir opposer un principe de neutralité, afin de préserver l’image neutre de l’entreprise auprès des clients.

          2.4 Formulation du principe de neutralité

Il résulte de ce qui précède qu’il n’y a pas de formulation type, puisque le DRH doit rédiger sa clause en fonction de ses critères propres.

Pour quel objectif ? Pour quelle population ? Quelle est la pertinence des restrictions apportées en appréciant la proportionnalité de la restriction à l’objectif recherché ?

La formulation de la clause devra donc reprendre tous ces critères pour que le DRH soit à même de justifier de la licéité de la clause.

Il est par ailleurs vivement conseillé de rappeler au préalable que l’expression des convictions est un droit, afin d’anticiper toute critique.

Préconisation

Ainsi, la clause pourrait être formulée de la manière suivante : « Tout salarié a le droit de manifester ses convictions politiques, philosophiques ou religieuses.

« Pour autant, la manifestation de ces convictions ne devra pas porter atteinte au bon fonctionnement de l’entreprise et aux libertés et droits fondamentaux des autres salariés ou des tiers.

« Par ailleurs, dans ses rapports avec la clientèle, le personnel devra respecter une stricte neutralité et s’abstenir de toute manifestation de ses convictions quelles qu’elles soient.Cass. soc., 22 nov. 2017, n° 13-19.855.

« Enfin, toute manifestation ostentatoire de convictions religieuses, politiques et philosophiques et toute action prosélyte sont interdites au sein de l’entreprise et/ou à l’occasion de l’exercice des fonctions.

« L’inobservation des règles ci-dessus pourra entraîner le prononcé de sanctions disciplinaires en fonction de la gravité du manquement commis. »

Ainsi que précédemment exposé, compte tenu de la position restrictive de la Cour de cassation, la restriction dans des cas de représentation de l’entreprise vis-à-vis des tiers devra être validée par la jurisprudence ultérieure.

          2.5 Application de la clause

Il convient enfin de relever que la clause de neutralité, pour être valablement invoquée, devra être appliquée de façon indifférenciée, sauf à perdre son efficacité.

Comme l’indique la CJUE, la politique de neutralité doit être véritablement poursuivie de manière cohérente et systématique.

« En ce qui concerne en deuxième lieu le caractère approprié d’une règle interne telle que celle en cause au principal, il y a lieu de constater que le fait d’interdire aux travailleurs le port visible de convictions politiques, philosophiques ou religieuses est apte à assurer la bonne application d’une politique de neutralité, à condition que cette politique soit véritablement poursuivie de manière cohérente et systématique».

Il ne peut donc y avoir deux poids deux mesures dans l’application de la clause.

Toutefois, et bien évidemment, la sanction devra être proportionnée à la faute commise.

Ainsi, la CJUE suggère dans son arrêt relatif à l’affaire belge que le juge national pourrait vérifier si une mutation plutôt qu’un licenciement pourrait être notifiée.

« En l’occurrence, s’agissant du refus d’une travailleuse telle que Madame Achbita de renoncer au port du foulard islamique dans l’exercice de son activité professionnelle auprès de clients de G4S, il appartient à la Juridiction de renvoi de vérifier si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle n’ait à subir une charge supplémentaire, il eut été possible à G4S, face à un tel refus, de lui proposer un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ses clients, plutôt que de procéder à son licenciement. »

« Il incombe à la Juridiction de renvoi, eu égard à tous les éléments du dossier, de tenir compte des éléments en présence et de limiter les restrictions aux libertés en cause au strict nécessaire. »

C’est ce que reprend la Cour de cassation dans son arrêt du 22 novembre 2017 : « En présence du refus d’une salariée de se conformer à une telle clause dans l’exercice de ses activités professionnelles auprès des clients de l’entreprise, il appartient à l’employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer à la salariée un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement. »

Avant de prononcer une sanction, le DRH devra donc comparer la situation reprochée à d’autres situations objectives qui empêcheraient le salarié d’effectuer son travail (alcool, accident), afin de s’assurer de ne pas créer une discrimination.

Et ce n’est que face à une impossibilité de reclassement sur un poste disponible et sans coût supplémentaire qu’une sanction pourra être notifiée.

Bien évidemment, sa notification ne pourra intervenir qu’après discussion avec le salarié concerné et recherches de solution.

Ce n’est qu’en cas de persistance du salarié dans son refus d’appliquer la règle qu’une sanction pourra être envisagée.

Cette obligation de recherche de reclassement préalable ne vise pas à notre sens les cas d’abus, de non-respect des règles d’hygiène, de santé et de sécurité ou des obligations contractuelles, lesquels restent selon nous directement sanctionnables pour les premières et peuvent justifier un licenciement pour les secondes.

Pour conclure, la clause de neutralité permet de répondre de façon plus sécurisante à ces nouvelles problématiques, mais le DRH doit rester particulièrement vigilant, tant dans son libellé que dans son application, en prenant garde au risque de discrimination directe ou indirecte et donc au risque de nullité de la sanction.

Si les restrictions souhaitées par l’entreprise, les partenaires sociaux, le personnel, sont trop discutables pour pouvoir être mentionnées sans risque d’annulation dans une clause de neutralité, le DRH devra opter pour une charte du vivre ensemble sans caractère obligatoire et qui ne sera pas annexée au règlement intérieur.

Le non-respect de la charte ne pourra pas permettre au DRH de sanctionner le salarié contrevenant, mais cette charte pourra favoriser un modus vivendi favorisant la cohésion du groupe.

3. Tenues vestimentaires et port d’accessoires

La liberté de se vêtir est une liberté individuelle, mais non une liberté fondamentale.

C’est ce que rappelle la Cour de Cassation dans le célèbre arrêt du bermuda du 28 mai 2003.

Il en résulte qu’un licenciement fondé sur le refus d’une contrainte vestimentaire peut constituer un licenciement abusif, mais non pas un licenciement nul, sauf si cette atteinte à la liberté de se vêtir à sa guise se combine avec une atteinte à une liberté fondamentale (liberté religieuse notamment), ou si derrière l’atteinte injustifiée à cette liberté se cache une discrimination.

Par ailleurs, l’entreprise ne peut imposer à un salarié des contraintes vestimentaires qui ne seraient pas justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché.

C’est ainsi et sous cette réserve que l’entreprise peut imposer le respect d’un uniforme ou d’un code vestimentaire.

Dès lors, comme pour la liberté de conviction dans l’entreprise, le DRH peut poser des limites à la liberté vestimentaire qui pourront se traduire ici :

  • par l’obligation pour les salariés de porter des protections particulières dues à la nature de leur métier. Cette obligation est principalement liée à un objectif d’hygiène et de sécurité (port d’un casque, d’une blouse, d’une charlotte).
  • par l’obligation de porter une tenue spécifique comme le port d’un uniforme ou d’un costume, pour des raisons notamment commerciales. Cette restriction de la liberté vestimentaire doit être justifiée par le secteur d’activité et les tâches à accomplir par le salarié.

Indépendamment de ces deux cas de figure, se pose la question du droit pour l’entreprise d’exiger un code vestimentaire ou plutôt de sanctionner un salarié dont l’habillement ne serait pas conforme au code usuellement en vigueur dans l’entreprise.

Si la clause de neutralité peut apporter des restrictions aux manifestations vestimentaires de salariés trouvant leur source dans leur conviction, il est certain que la direction pourra exiger dans les mêmes conditions une neutralité vestimentaire.

Il faudra pour ce faire que le code vestimentaire soit expressément mentionné dans le règlement intérieur s’agissant d’une restriction à une liberté individuelle, que l’objectif soit légitime, que cette restriction à la liberté de se vêtir ou de porter des accessoires soit nécessaire et adaptée à l’objectif.

Préconisation

L’exigence du respect d’un code vestimentaire devra donc figurer dans une clause particulière du règlement intérieur qui pourrait être rédigée comme suit : « Tout salarié en contact direct avec les clients devra adopter un code vestimentaire neutre qui ne préjudicie pas l’image de l’entreprise et à la relation commerciale.»

Le non-respect du code vestimentaire pourra alors être sanctionné en respectant bien évidemment le principe de proportionnalité de la faute à la sanction.

La jurisprudence est peu nombreuse, mais elle a reconnu dans le passé que l’entreprise puisse poser des limites à la liberté vestimentaire et, en cas de non-respect du code vestimentaire exigé, prononcer une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.

À titre d’exemple, il a été jugé dans le passé que des restrictions à la liberté vestimentaire sont admises si elles sont dictées par le souci de l’image de marque dans l’entreprise, lorsque notamment le salarié est en contact direct avec la clientèle.

Tel a été le cas pour un serveur de restaurant portant une queue de cheval, sa coiffure étant jugée déplacée compte tenu de l’établissement, ou concernant un employé de banque ayant une coupe à l’iroquoise.

De même, si le port de l’uniforme est institué dans l’entreprise, celui-ci peut être justifié par le contact du salarié avec la clientèle, et permettre le prononcé de sanctions en cas de non-respect de l’obligation.

Dans ce cadre, la Cour de cassation a validé le licenciement d’une assistante responsable des réservations dans un hôtel qui refusait de porter l’uniforme qu’elle jugeait trop osé.

À l’inverse, l’uniforme imposé par la convention collective pour les agents de maîtrise en contact avec la clientèle ne pouvait pas être imposé à des agents vidéo « qui n’avaient pas pour mission de procéder à des interpellations et dont les fonctions ne les amenaient pas, même occasionnellement, à être en contact avec la clientèle ».

Leur licenciement a dès lors été jugé sans cause réelle et sérieuse.

Les limites à la liberté vestimentaire ont également dans le passé été justifiées par le respect de la décence.

La Cour de cassation a ainsi jugé qu’une salariée qui, après une première mise en garde, avait continué de porter un chemisier transparent sans soutien-gorge, fait de nature à susciter un trouble dans l’entreprise, a pu légitimement être licenciée.

Mais cet arrêt est trop ancien pour que la référence puisse être encore considérée comme nécessairement pertinente.

Les moeurs évoluant, le mode vestimentaire étant moins codifié que par le passé, le DRH doit rester particulièrement vigilant sur la pertinence de ses restrictions, tant au moment de l’élaboration de sa clause de neutralité vestimentaire que de la sanction de son non-respect.

Comme exposé ci-dessus pour les manifestions de convictions, le plus simple est à l’évidence de viser le code vestimentaire dans une Charte n’ayant pas valeur de règlement intérieur, ce qui ne permet pas en revanche de sanctionner un salarié qui ne respecterait pas la Charte.

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