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Expertise risque grave : l’expert peut procéder à l’audition de salariés avec leur accord

Dans un arrêt rendu le 28 juin 2023 (pourvoi n° 22-10.293), la Cour de cassation avait jugé que si l’expert-comptable, désigné dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi, considère que l’audition de certains salariés de l’entreprise est utile à l’accomplissement de sa mission, ce dernier ne peut y procéder qu’à la double condition d’obtenir l’accord exprès de l’employeur et des salariés concernés.

Pour ce faire, la Cour de cassation s’était fondée sur deux articles :

  • l’article L. 2315-82 du Code du travail, aux termes duquel les experts ont libre accès dans l’entreprise pour les besoins de leur mission,
  • l’article L. 2315-83 du Code du travail, selon lequel l’employeur fournit à l’expert les informations nécessaires à l’exercice de sa mission.

La Cour de cassation avait ainsi refusé de reconnaître à l’expert-comptable un pouvoir propre d’audition ou d’interrogation du personnel, la circonstance qu’il dispose d’un libre accès dans l’entreprise ne l’autorisant pas à exiger de communiquer avec le personnel.

Ce faisant, cette position était conforme au Guide des missions de l’expertise-comptable auprès des CSE, lequel rappelle expressément que le libre accès de l’expert-comptable « ne s’apparente pas pour autant à un pouvoir d’audition ou d’interrogation du personnel ni à un droit de visite impliquant à tout moment la liberté de circuler dans les bureaux et/ou ateliers de l’entreprise ».

L’arrêt avait certes été rendu au cas particulier d’une expertise dans le cadre de la consultation du CSE sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi, mais il était permis de penser qu’il pouvait être étendu aux autres expertises susceptibles d’être diligentés par le CSE, y compris les expertises menées par un expert « habilité ».

L’article L. 2315-82, qui consacre le libre accès dans l’entreprise et sur lequel la Cour de cassation s’était fondée, vise en effet « les experts mentionnés aux paragraphes 2 et 3, ce qui renvoie à la fois :

  • aux expertises dans le cadre des consultations récurrentes, réalisées par l’expert-comptable,
  • aux autres cas de recours à l’expertise, notamment celles réalisés par un expert habilité (expertise « risque grave », expertise dans le cadre d’introduction de nouvelles technologies ou de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, expertise dans le cadre de la préparation de la négociation sur l’égalité professionnelle).

C’est finalement une solution différente qu’elle retient dans un arrêt rendu le 10 juillet 2024 (pourvoi n° 22-21.082) relatif à une expertise « risque grave ».

Dans cette affaire, l’un des CHSCT d’un groupe hospitalier avait décidé de recourir à une expertise pour risque grave sur le fondement de l’article L. 4614-12 1°et missionné, pour réaliser ladite expertise, l’association Emergences formation.

Le groupe hospitalier avait alors fait assigner le CHSCT et l’expert devant le président du tribunal judiciaire pour obtenir la limitation de la communication des documents sollicités par l’expert au périmètre de la direction des ressources humaines et la réduction du coût de l’expertise.

Le président du Tribunal judiciaire a débouté le groupe hospitalier, notamment pour les motifs suivants :

« Enfin, l’expertise ordonnée suite au constat de l’existence d’un risque grave pour l’ensemble des agents de la direction des ressources humaines de l’Hôpital [6] qui se traduit par des risques psycho-sociaux et physiques et par la manifestation d’une souffrance au travail mise en évidence par de multiples faits, sans que les alertes préalables y aient mis un terme, impose que l’ensemble de la chaîne hiérarchique et organisationnelle, tous les intervenants en matière de santé au travail, les représentants du personnel et délégués syndicaux, de même que chacun des agents de la direction concernée, y compris les 6 agents ayant récemment quitté ses services, puissent être entendus s’il le souhaitent ».

La Cour de cassation valide ce raisonnement en énonçant que :

  • l’expert désigné dans le cadre d’une expertise pour risque grave, s’il considère que l’audition de certains salariés de l’entreprise est utile à l’accomplissement de sa mission, peut y procéder à la condition d’obtenir l’accord des salariés concernés,
  • en cas de contestation par l’employeur, il appartient au juge d’apprécier la nécessité des auditions prévues par l’expert au regard de la mission de celui-ci.

La Cour de cassation a suivi, ce faisant, l’avis de l’avocat général ayant estimé que l’arrêt du 28 juin 2023 circonscrit la portée du principe qu’il pose à l’hypothèse d’un recours par le CSE à un expert-comptable dans le cadre de la consultation récurrente sur la politique sociale, les conditions de travail et d’emploi et que le recours à un expert habilité pour « risque grave » présente des spécificités devant conduire à admettre l’organisation d’entretiens avec les salariés.

Cette solution apparaît transposable à l’expertise risque grave diligentée par un CSE en application de l’article L. 2314-94, 1° du Code du travail.

Si la tenue des entretiens n’est ainsi pas conditionnée à l’accord exprès de l’employeur, ce dernier devra faire preuve de vigilance afin d’éviter que la multiplication de ces entretiens conduise à un accroissement exponentiel du coût de l’expertise (financée à 100 % par l’employeur) et à une désorganisation de l’entreprise ou du service…

https://www.courdecassation.fr/decision/668e2439fcf93851fdd644e5

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