Par cet arrêt du 15 mai 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation précise les conditions de mise en œuvre d’une discrimination en raison du handicap.
Si le code du travail ne prévoit pas à proprement parler une protection particulière des salariés handicapés contre le licenciement, à l’image de ce qui existe pour la femme enceinte et les victimes d’accident du travail, ils bénéficient en revanche de droits spécifiques en termes d’égalité de traitement dont le non-respect est susceptible de constituer une discrimination.
L’article L. 5213-6 du code du travail prévoit qu’afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés, l’employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1° à 4° et 9° à 11° de l’article L. 5212-13 d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée.
Ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en œuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l’aide prévue à l’article L. 5213-10 qui peut compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l’employeur.
Le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d’une discrimination au sens de l’article L. 1133-3.
Cet article est la transposition de l’article 5 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, elle-même inspirée de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, signée à New York le 30 mars 2007 et ratifiée tant par la France que par l’Union européenne.
Le préambule de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 précise que :
« La présente directive n’exige pas qu’une personne qui n’est pas compétente, ni capable ni disponible pour remplir les fonctions essentielles du poste concerné ou pour suivre une formation donnée soit recrutée, promue ou reste employée ou qu’une formation lui soit dispensée, sans préjudice de l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables pour les personnes handicapées. ».
Il définit ensuite les mesures appropriées comme « des mesures efficaces et pratiques destinées à aménager le poste de travail en fonction du handicap, par exemple en procédant à un aménagement des locaux ou à une adaptation des équipements, des rythmes de travail, de la répartition des tâches ou de l’offre de moyens de formation ou d’encadrement ».
À la différence des autres hypothèses de discrimination où la Cour de cassation n’a pas admis l’existence d’une obligation d’accommodements raisonnables, il s’agit, par des mesures positives de l’employeur, de permettre à des personnes qui, en raison de leur handicap, ont des difficultés à acquérir, exercer ou conserver leur emploi, d’accéder ou de rester dans l’entreprise.
Ainsi, le chapitre III du titre III du Livre Ier du code du travail relatif aux différences de traitement autorisées précise à l’article L. 1133-4 que « les mesures prises en faveur des personnes handicapées et visant à favoriser l’égalité de traitement, prévues à l’article L. 5213-6, ne constituent pas une discrimination ».
La chambre sociale a retenu pour la première fois l’existence d’une discrimination dans la mise en œuvre de l’article L. 5213-6 du code du travail dans un arrêt publié du 3 juin 2020 en jugeant que : « si le manquement de l’employeur à son obligation de reclassement a pour conséquence de priver de cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement, l’article L. 5213-6 du code du travail dispose qu’afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés, l’employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour leur permettre d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y 1 progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, que ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en œuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l’aide prévue à l’article L. 5213- 10 qui peut compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l’employeur, et que le refus de prendre ces mesures peut être constitutif d’une discrimination au sens de l’article L. 1133-3 ».
La chambre sociale a ainsi approuvé le raisonnement de la cour d’appel qui, ayant constaté que l’employeur, nonobstant l’importance de ses effectifs et le nombre de ses métiers, ne justifiait pas d’études de postes ni de recherche d’aménagements du poste du salarié et n’avait pas consulté le service d’appui au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (SAMETH), bien qu’il y ait été invité à deux reprises par le salarié, a pu en déduire qu’il avait refusé de prendre les mesures appropriées pour permettre à ce dernier de conserver un emploi, ce dont il résultait que le licenciement constitutif d’une discrimination à raison d’un handicap était nul.
Dans la présente espèce, la salariée, reconnue en qualité de travailleur handicapé par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) le 1er avril 2010, avait été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 9 novembre 2015, tandis qu’elle était toujours en arrêt maladie depuis plusieurs années. Invoquant l’existence d’une discrimination en raison du handicap, la salariée se limitait toutefois à affirmer que l’employeur aurait dû prendre en compte sa qualité de travailleur handicapé et adopter l’une des mesures prévues à l’article L. 5213-6 du code du travail, sans fournir aucune précision sur la mesure d’aménagement raisonnable qui aurait pu être prise par l’employeur.
La cour d’appel avait annulé son licenciement en retenant que l’employeur n’avait pas pris en compte son statut de travailleur handicapé et qu’il ne lui avait proposé aucune mesure particulière dans le cadre de la recherche de reclassement après l’avis d’inaptitude du médecin du travail.
Cet arrêt est cassé. 4 Soc., 3 juin 2020, pourvoi n° 18-21.993, publié au Bulletin.
Il convient en effet de distinguer ce qui relève du droit de l’inaptitude et de l’obligation de sécurité, le manquement de l’employeur à son obligation de reclassement privant seulement le licenciement de cause réelle et sérieuse, et ce qui relève du droit de la discrimination dont la sanction est la nullité du licenciement.
Si le salarié décide de fonder son action sur la discrimination, il résulte du mécanisme probatoire prévu en la matière à l’article L. 1134-1 du code du travail que, dans un premier temps, le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination.
En matière de discrimination en raison du handicap, la seule qualité de travailleur handicapé ne constitue pas, à elle seule, un élément laissant supposer une discrimination.
La chambre sociale décide ainsi que « le juge, saisi d’une action au titre de la discrimination en raison du handicap, doit, en premier lieu, rechercher si le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une telle discrimination, tels que le refus, même implicite, de l’employeur de prendre des mesures concrètes et appropriées d’aménagements raisonnables, le cas échéant sollicitées par le salarié ou préconisées par le médecin du travail ou le comité social et économique en application des dispositions des articles L. 1226-10 et L. 2312-9 du code du travail, ou son refus d’accéder à la demande du salarié de saisir un organisme d’aide à l’emploi des travailleurs handicapés pour la recherche de telles mesures. Il appartient, en second lieu, au juge de rechercher si l’employeur démontre que son refus de prendre ces mesures est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison du handicap, tenant à l’impossibilité matérielle de prendre les mesures sollicitées ou préconisées ou au caractère disproportionné pour l’entreprise des charges consécutives à leur mise en œuvre ».
Le débat judiciaire doit donc porter en premier lieu sur l’existence de mesures concrètes et appropriées d’aménagements raisonnables, de façon à ce que le litige sur l’existence d’une possible discrimination en raison du handicap puisse se nouer.
https://www.courdecassation.fr/decision/6644514ab94eb60008b3d10f