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Une clause de non-sollicitation doit être, selon la cour de cassation, nécessairement proportionnée

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Des clauses de non-sollicitation des collaborateurs d’une entreprise (salariés mais aussi sous-traitants, agents commerciaux, …) sont fréquemment négociées dans les contrats de cession de droits sociaux, les contrats de cession de fonds de commerce, les contrats informatiques et autres contrats entre partenaires commerciaux.

En la matière, deux arrêts de référence de 2006 faisaient référence sur deux aspects.

L’absence de contrepartie financière :

Les collaborateurs concernés restent tiers au contrat.

Ainsi, par un arrêt en date du 10 mai 2006, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait jugé que l’octroi d’une contrepartie financière aux collaborateurs salariés visés par la clause n’était pas nécessaire (contrairement à la clause de non-concurrence imposée à un salarié).

Pour autant, dans cet arrêt de 2006, elle laissait entrevoir la possibilité pour un salarié de se prévaloir du trouble causé par une telle clause de non-sollicitation en raison de l’atteinte portée à la liberté du travail.

A cet égard, la chambre sociale, par un arrêt en date du 2 mars 2011, a effectivement jugé qu’une clause de non-sollicitation qui faisait obstacle au recrutement d’un salarié, portait atteinte à sa liberté de travailler.

En conséquence, son employeur devait l’indemniser en raison du préjudice causé.

L’affirmation de l’autonomie de la clause de non-sollicitation

En outre, par un arrêt du 11 juillet 2006, la chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé l’autonomie de la clause de non-sollicitation par rapport à la clause de non-concurrence.

Dans cette affaire, un contrat de cession de parts sociales comportait à la fois une clause de non-concurrence et une clause de non-sollicitation.

La Cour d’appel avait alors jugé que les limites figurant dans la clause de non-concurrence (notamment celle tenant aux territoires réservés) devaient s’appliquer à la clause de non-sollicitation « faute de quoi le principe de liberté du travail et du commerce serait bafoué ».

La Cour de cassation a censuré cet arrêt, au visa de l’article 1134 du code civil, en estimant que la clause de non-sollicitation n’était ni une variante, ni une précision de la clause de non-concurrence.

La doctrine avait alors considéré que la validité de la clause de non-sollicitation n’était pas soumise aux conditions imposées en matière de clauses de non-concurrence (en particulier, champ limité dans l’espace, dans le temps et dans son objet).

Néanmoins, comme le soulignait plus récemment un auteur, la clause de non-sollicitation « entre […] en conflit avec des notions juridiques essentielles telles que la liberté du travail, l’effet relatif des contrats, la liberté contractuelle ».

Un nouvel arrêt du 27 mai 2021 de la Cour de cassation vient de préciser les conditions de validité des clauses de non-sollicitation.

En l’espèce, plusieurs sociétés avaient, dans le cadre d’un groupement de distributeurs de fournitures bureautiques et éducatives, signé une charte réglementant différents aspects de leurs relations.

Cette charte contenait une clause, intitulée « Force commerciale », par laquelle chacune d’entre elles s’engageait à n’embaucher, sauf accord explicite dérogatoire entre les parties concernées, aucun « commercial » employé par un autre membre du groupement ou ayant été employé par un autre membre du groupement et ayant quitté celui-ci depuis moins d’un an.

C’est dans ce contexte que la société Buropa, membre du groupement, a assigné les sociétés Somado et Eurodis, également membres du groupement (appartenant visiblement toutes deux au même groupe de sociétés), pour avoir violé la charte et embauché un certain nombre de ses anciens commerciaux, lesquels avaient démarché ses clients au bénéfice de leur nouvel employeur.

La Cour de cassation a eu à se prononcer sur plusieurs questions, compte tenu des pourvois en cassation formés à la fois par la société Buropa et par les sociétés Somado et Eurodis.

Tout d’abord, les sociétés Somado et Eurodis considéraient que la clause litigieuse n’était pas valable.

Elles faisaient valoir dans leur pourvoi que « en toute hypothèse, apportant une restriction tant à la liberté du commerce et de l’industrie qu’à la liberté du travail, la clause par laquelle une partie s’interdit d’embaucher, directement ou indirectement, les salariés ayant été employés par une autre partie, n’est licite que dans la mesure où elle est proportionnée à la protection des intérêts légitimes de son créancier ».

Or, la Cour d’appel avait rejeté cet argument en jugeant que :

  • la clause litigieuse était limitée dans le temps,
  • elle constituait une clause de non-sollicitation et non une clause de non-concurrence, dont elle n’était ni une variante ni une précision. Ainsi, le cadre rigoureux des clauses de non-concurrence ne trouvait pas à s’appliquer,
  • en conséquence, cette clause, qui permettait aux salariés de rechercher un emploi auprès d’autres entreprises non-membres du groupement, ne portait pas atteinte à la liberté du travail et n’était pas disproportionnée puisque des accords dérogatoires étaient possibles.

La Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel au visa du principe de liberté du travail, du principe de liberté d’entreprendre et de l’article 1134, al. 1er du Code Civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016.

Ainsi, selon la Cour de cassation, il résulte de la combinaison de l’ensemble de ces règles et principes qu’une stipulation contractuelle qui porte atteinte auxdits règles et principes n’est licite que si elle est proportionnée aux intérêts légitimes à protéger compte tenu de l’objet du contrat.

La Cour de cassation affirme que « conclue entre entreprises concurrentes, la clause litigieuse portait atteinte à la liberté du travail des personnes qui étaient contractuellement liées à ces entreprises ainsi qu’à la liberté d’entreprendre de ces dernières ».

Dès lors, « la cour d’appel, qui n’a pas recherché, comme elle y était invitée, si ces atteintes étaient proportionnées aux intérêts légitimes que la clause était censée protéger, a privé sa décision de base légale ».

Or, la Cour de cassation apporte ainsi des précisions bienvenues au regard de sa jurisprudence antérieure.

Pour mémoire, une clause de non-sollicitation implique l’obligation de ne pas solliciter les collaborateurs, salariés voire non-salariés, de l’autre partie pendant une durée qui sera déterminée dans le contrat.

Cette clause peut s’appliquer de manière réciproque entre les parties comme au cas d’espèce.

Ensuite, la clause de non-sollicitation doit être nécessairement proportionnée aux intérêts légitimes à protéger

Par ce nouvel arrêt du 27 mai 2021, la Cour de cassation semble en effet faire évoluer sa jurisprudence ou tout du moins la préciser.

Au cas d’espèce, la Cour d’appel s’était justement fondée sur l’autonomie de la clause de non-sollicitation par rapport à la clause de non-concurrence pour dire que le cadre rigoureux des clauses de non-concurrence ne trouvait pas à s’appliquer.

Sans remettre en cause le principe d’autonomie entre la clause de non-concurrence et la clause de non-sollicitation, la Cour de cassation précise que la clause ne peut pas être « illimitée ».

Si la clause de non-sollicitation constitue bien la loi entre les parties, encore faut-il, à l’aune de ce qui a déjà été jugé pour les clauses de non-concurrence, qu’elle soit proportionnée aux intérêts légitimes qu’elle entend protéger notamment au regard de l’objet du contrat dans lequel elle est insérée.

En effet, cette clause doit être justifiée : elle apporte nécessairement une restriction, tant à la liberté du commerce et de l’industrie qu’à la liberté du travail et ce, « en toute hypothèse » selon les termes de la Cour de cassation.

En pratique, dans le cadre de la rédaction de la clause de non-sollicitation, il convient donc d’expliciter les motivations d’une telle clause mais aussi en fonction de l’objet du contrat, de limiter son champ d’application à des secteurs déterminés et d’encadrer bien entendu sa durée, voire les territoires concernés par la non-sollicitation.

En tout état de cause, il faut également :

  • Déterminer les collaborateurs concernés : la clause est-elle uniquement applicable en cas de débauchage de collaborateurs salariés ou s’applique-t-elle également, par exemple, en cas de sollicitation des sous-traitants ou agents commerciaux non-salariés ?

il convient de noter que la condition de proportionnalité désormais clairement exigée par la Cour de cassation vient, nous semble-t-il, répondre à la question de savoir si la clause peut ou pas s’étendre à l’ensemble des collaborateurs de la partie concernée, point qui pouvait parfois être discuté dans le cadre de la négociation du contrat.

Désormais, il est recommandé de limiter le champ de la clause aux seuls collaborateurs affectés aux services objet du contrat.

  • Préciser l’élément déclencheur de la non-sollicitation : la clause joue-t-elle également si le collaborateur est à l’initiative de la sollicitation ?

En pratique, la notion de non-sollicitation peut être définie de manière assez large par les parties mais avec le risque de porter une atteinte disproportionnée à la liberté de travailler du collaborateur.

  • Prévoir la faculté de négocier des accords dérogatoires entre les parties
  • Se poser la question de la réciprocité de la clause
  • Et, le cas échéant, l’assortir d’une clause pénale.

Il faudra, par ailleurs, veiller à ce que la clause échappe à la critique du déséquilibre significatif.

Enfin, pour conclure, il convient de préciser qu’en l’absence de clause de non-sollicitation, il semble que le débauchage massif de salariés d’un concurrent puisse constituer, en fonction des circonstances, un acte de parasitisme.

D’ailleurs, au cas d’espèce, la Cour de cassation a également censuré l’arrêt de la Cour d’appel qui n’avait pas recherché si les sociétés Somado et Eurodis avaient commis des actes de parasitisme.

https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_commerciale_financiere_economique_574/517_27_47161.html

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