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AT/MP : La présomption d’imputabilité au travail d’une lésion consécutive à un AT/MP s’étend à l’ensemble de la durée de l’incapacité dès lors qu’un arrêt de travail a été prescrit


Par un arrêt du 18 février dernier, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation récidive en abandonnant un peu plus clairement la notion de continuité de soins et de symptômes comme condition préalable à l’application de la présomption d’imputabilité, dont se prévalent systématiquement les caisses primaires faisant fi de la résistance des juridictions d’appel depuis les premiers arrêts qu’elle a rendus en ce sens le 9 juillet 2020.
C’est donc un blanc-seing donné aux caisses primaires dans la gestion du suivi des prescriptions AT/MP…
La présomption d’imputabilité au travail d’une lésion consécutive à un accident ou une maladie professionnelle s’étend à l’ensemble de la durée de l’incapacité dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial est assorti d’un arrêt de travail
Le 24 septembre dernier, la deuxième Chambre Civile de la Cour de cassation, saisie sur pourvoi d’une caisse primaire, avait déjà cassé un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 4 avril 2019 et confirmé qu’en matière d’accidents du travail, la présomption d’imputabilité visée à l’article L 411-1 du Code de Sécurité Sociale s’appliquait pendant toute la durée de l’incapacité du salarié précédant soit la guérison, soit la consolidation de l’état de santé du salarié dès lors qu’un arrêt de travail était initialement prescrit ou que le certificat médical initial était assorti d’un arrêt de travail.
Cette solution est en tout point identique à un arrêt rendu le 9 juillet dernier (Cass. 2ème civ., 9 juillet 2020, n° 19-17.626).
Par cette position éminemment discutable, la Cour de cassation revient sur sa jurisprudence ancienne consistant à conditionner l’application de la présomption d’imputabilité à la preuve préalable, à la charge de la caisse primaire, d’une continuité de soins et de symptômes (Cass. 2ème civ, 15 février 2018, n° 17-11.231).
Se fondant sur cette position, de nombreuses juridictions d’appel avaient ainsi sanctionné les organismes de Sécurité Sociale dont la défaillance dans l’administration de cette preuve les privait de la possibilité de se prévaloir de ladite présomption (Cour d’appel de Rouen du 9 septembre 2020, n° 17-00.513 ; Cour d’appel d’Angers du 30 juin 2020, n° 17-01.050 ; Cour d’appel de Paris du 12 juin 2020, n° 16-14.849 ; Cour d’appel de Paris du 24 janvier 2020, n° 18-09.273 ; Cour d’appel de Dijon du 1er février 2018, n° 15-01.140).
Ce brusque retour en arrière interpelle quant à ses réelles motivations.
Il est un principe constant selon lequel la présomption d’imputabilité au travail est une présomption simple, voire mixte, qui peut être combattue par la démonstration d’une cause totalement étrangère au travail.
Ainsi, en théorie, l’employeur dispose d’un moyen pour remettre en cause cette présomption.
En pratique, il en était autrefois autrement puisque les juridictions étaient peu, voire pas, enclines à accorder des expertises médicales judiciaires au motif que l’employeur ne motivait pas suffisamment sa demande.
Les documents utiles à l’argumentation de l’employeur étant détenus par les caisses primaires, on flirtait dangereusement avec la preuve impossible.
A tel point qu’une question prioritaire de Constitutionnalité a été posée quant à l’interprétation des dispositions de l’article L 411-1 du Code de la Sécurité Sociale.
Par arrêt du 16 juin 2011, la Haute Cour avait refusé de transmettre la question au Conseil Constitutionnel, ne la considérant pas nouvelle, et ajouté que le droit à un recours effectif au juge était garanti par la possibilité pour l’employeur de solliciter la mise en œuvre d’une expertise médicale judiciaire devant les juridictions de Sécurité Sociale (Cass. 2ème civ, 16 juin 2011, n° 10-27.172).
L’arrêt du 24 septembre 2020, reprenant l’attendu de principe du 9 juillet 2020, stigmatise la difficulté de l’employeur à réunir les éléments utiles à ses prétentions.
En effet, l’application de la présomption d’imputabilité n’étant désormais conditionnée qu’à la seule existence d’un arrêt de travail initial, les caisses primaires seraient donc admises à l’invoquer dès lors que cette condition est remplie.
Partant, l’employeur n’aurait plus accès aux certificats médicaux descriptifs, seuls documents lui permettant de construire son argumentation.
Or, il faut rappeler que les entreprises financent la branche AT/MP par le biais de leur taux de cotisations, lequel dépend directement du nombre d’accidents ou maladies déclarés, ainsi que de l’importance des prestations servies consécutivement.
On aurait donc pu penser ou espérer que les employeurs étaient en droit de s’assurer du bien-fondé des prestations qui leur étaient imputées.
En filigrane, on comprend que la Cour de cassation a probablement été agacée par la multiplication de ce type de contentieux.
On peut en effet permettre certains excès, l’importance de la longueur d’un arrêt de travail ne pouvant à elle seule permettre de présumer de son caractère infondé.
Mais, par son attendu de principe, la Cour de cassation va dans l’excès inverse en ce qu’il suffira d’un arrêt initial pour exonérer la caisse de toute justification ultérieure.
Le droit à un procès équitable, ainsi que celui de l’égalité des armes, respectivement prévus aux articles 6.1 et 6.3 de la CEDH, s’en trouve ainsi sérieusement malmenés.
D’une présomption légale mixte, la 2ème Chambre Civile crée en effet une présomption prétorienne irréfragable.
Autre fait dérangeant dans la position de la Cour, elle semble également considérer que la date de consolidation, jusqu’à laquelle la présomption d’imputabilité s’applique, se déduit de la période d’indemnisation du salarié, caractérisée par le versement des indemnités journalières.
Il s’agit là d’une position surprenante en ce que l’indemnisation n’est que la conséquence de la prescription.
De plus, en matière d’accidents et maladies professionnels, seule la prescription compte.
En effet, en application des dispositions de l’article D 242-6-6 du Code de la Sécurité Sociale, le montant du coût imputé à l’employeur est déterminé par les seuls arrêts prescrits et non indemnisés.
Une des illustrations les plus flagrantes du caractère fondamental de cette distinction résulte de l’application combinée de cet article avec l’article L 433-1 du même Code.
Selon le second de ces textes, le jour de survenance de l’accident reste à la charge de l’employeur, quand bien même un arrêt serait prescrit.
Toutefois, bien que non indemnisé, cet arrêt prescrit serait pris en compte dans les dépenses à reporter au compte de l’employeur.
C’est donc bien la prescription qui est déterminante et non l’indemnisation.
En conclusion et en bien des points, la solution dégagée par la Cour de cassation n’est pas satisfaisante.
Il ne s’agit pas seulement ici de défendre les intérêts des entreprises, réduites par cette décision au rôle d’employeur payeur, mais bien de s’alarmer d’une atteinte importante aux droits de la défense et à un procès équitable.
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/arrets_publies_2986/deuxieme_chambre_civile_3170/2021_10032/02_fevrier_10034/121_18_46532.html

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