Dans le contexte de la crise sanitaire et par rapport à l’obligation de sécurité dont l’entreprise est débitrice vis-à-vis de ses salariés, plusieurs questions émergent :
- le syndrome anxio-dépressif d’être affecté par le Covid-19 peut-il être reconnu comme accident du travail ?
- les salariés anxieux d’être exposés au Covid-19 peuvent-ils obtenir des dommages et intérêts ?
- les entreprises qui ne protègent pas leurs salariés peuvent-elles se voir poursuivre pour faute inexcusable ?
Sans préjuger de ce que pourrait être la position des juges pour l’avenir, il convient de revenir sur chacune des questions posées par référence à la jurisprudence en la matière à ce jour.
Le syndrome anxio-dépressif d’être affecté par le Covid-19 peut-il être reconnu comme accident du travail ?
En avril 2014, alors qu’elle était en repos à son domicile au retour d’un vol affrété par la Compagnie AIR FRANCE, vol qu’elle avait réalisé à destination de Conakry Guinée avec escale du 21 au 23 mars 2014, une hôtesse de l’air a développé des symptômes qui l’ont conduite à se présenter au service des urgences à Salon, où il a été diagnostiqué qu’elle présentait une odynophagie avec fébrilité, et qu’ayant transité par la Guinée quelques jours auparavant, elle devait être immédiatement hospitalisée en isolement le temps d’éliminer le diagnostic de fièvre hémorragique.
Heureusement pour elle la PCR Ebola sur le sang est revenue négative, de sorte qu’étant apyrétique le 4 avril 2014, son évolution clinique a permis d’envisager un retour à son domicile.
Celle-ci a contesté devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône le refus qui lui a été opposé par la Commission de recours amiable de la Caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches du Rhône, de voir prendre en charge au titre de la législation professionnelle, l’hospitalisation qu’elle a dû subir à l’Hôpital Nord de Marseille et les conséquences psychologiques qu’elle en a ressenties, en suite d’une suspicion de contagion au virus Ebola dont elle a développé les symptômes apparents, à la suite d’une escale professionnelle en Guinée.
Pour faire droit à sa demande en reconnaissance du caractère professionnel de l’accident par elle subi en conséquence d’un risque d’exposition au virus Ebola, le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale BOUCHES DU RHONE a considéré le 18 Octobre 2016 que le syndrome anxio-dépressif présenté par la salariée et attesté par un Docteur et par une sophrologue, était la conséquence directe de son hospitalisation en urgence et de la forte suspicion qui avait été développée à son endroit qu’elle était / ou pouvait être / affectée par un virus mortel du chef duquel n’existe à ce jour aucun traitement et de nature à entraîner sa mort dans des conditions atroces.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence (Cour d’appel, Aix-en-Provence, 14e chambre, 7 Juillet 2017 – n° 16/21309) a jugé que :
- la Caisse ne peut valablement se prévaloir de ce que ces symptômes se sont manifestés une dizaine de jours après le retour d’Afrique de l’ hôtesse de l’air et alors qu’elle était en repos à son domicile, alors même que le temps d’incubation duvirus Ebola correspond sensiblement au délai de survenance des symptômes présentés par celle-ci ;
- la Caisse ne peut pas davantage être suivie dans son argumentaire selon lequel si hôtesse de l’air avait été infectée par levirus Ebola, cette affection aurait constitué un accident du travail, mais qu’en l’absence du déclanchement de la maladie, ses symptômes ne peuvent pas être pris en charge à ce titre ;
- force est d’observer que l’hôtesse de l’air ne sollicite que lareconnaissance à titre professionnel des conséquences psychologiques qu’elle a présentées en ce qu’elle a été atteinte d’un syndrome anxio dépressif ;
- il ne saurait valablement être contesté que pendant les deux jours de son hospitalisation jusqu’à l’intervention de sa sortie de l’hôpital, en sachant qu’elle n’était désormais pas atteinte duvirus, elle a nécessairement été confrontée à une prise en charge médicale très spécifique pour le moins traumatisante et en lien avec la conscience qu’elle était susceptible d’être en train de développer une maladie mortelle à très bref délai ;
- il se déduit de cet enchaînement des évènements intervenus entre le 2 et le 4 avril 2014, lesquels sont eux-mêmes en lien avec l’escale précédemment réalisée en Guinée, que l’hôtesse de l’air a bien été victime de lésions psychiques et/ou psychologiques, médicalement constatées, lesquelles sont la conséquence d’une suspicion d’exposition auvirus Ebola contractée lors de l’escale professionnelle qu’elle a réalisée en Guinée ;
- c’est dès lors à bon droit que le Tribunal en considération de ce qu’elle avait été victime d’unaccident du travail, a fait droit à ses demandes ;
Cette décision de justice peut faire jurisprudence à l’égard des personnes confrontées aux conséquences psychologiques ressenties, en suite d’une suspicion de contagion au virus COVID-19 dont elles auraient développé les symptômes apparents à la suite de leur activité professionnelle.
Les salariés anxieux d’être exposés au Covid-19 peuvent-ils obtenir des dommages et intérêts ?
L’article L.4121-1 du code du travail impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
- Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1
- Des actions d’information et de formation
- La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
« En application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, les salariés qui justifient d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition, peuvent agir contre leur employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité. »
Cass. Soc. 11 septembre 2019, n° 17-24.879 à 17-25.623
Pour être indemnisés, les salariés doivent saisir le Conseil de Prud’hommes
En effet, nées de l’inexécution d’une obligation découlant du contrat de travail, les demandes indemnitaires formulées par les salariés, fondées sur le manquement de leur employeur à son obligation de sécurité relèvent de la compétence du Conseil de Prud’hommes, conformément à l’article L. 1411-1 du Code du travail, et non du pôle social du tribunal judiciaire.
« les demandes indemnitaires fondées sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat relèvent de la compétence de la juridiction prud’homale »
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 septembre 2013, 12-12.883 12-13.307
« la déclaration de la maladie et le contentieux auquel elle a donné lieu ne privent pas le salarié du droit de demander à la juridiction prud’homale la réparation des conséquences du trouble psychologique, compris dans le préjudice d’anxiété, subi avant la déclaration de la maladie »
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 septembre 2013, 12-20.15
Pour être indemnisés, les salariés doivent rapporter la triple preuve :
- d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave
Par cette qualification large d’« substance nocive ou toxique », la Cour de cassation semble s’écarter des cadres juridiques prédéterminés fixés par les dispositions des articles R4411-1 et suivants du code du travail (dispositions spécifiques aux risques d’exposition chimiques et biologiques) ou par les dispositions du Code de la sécurité sociale (tableaux des maladies professionnelles).
La notion de « substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave » recouvre-t-elle le COVID-19 ?
La jurisprudence à venir le dira…
D’ores et déjà, la Cour d’appel de Rouen a reconnu la tuberculose comme « substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave »
Cour d’appel de Rouen, 16 janvier 2020 nº 17/03647
- d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité
- d’un préjudice d’anxiété personnellement subi
Si le salarié justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique, générant un risque élevé de développer une pathologie mais ne justifie pas d’un préjudice d’anxiété personnellement subi, il est débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice d’anxiété.
Cour d’appel de Rouen, 16 janvier 2020 nº 17/03647
L’indemnisation accordée au titre du préjudice d’anxiété répare l’ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’exposition d’une exposition à une substance nocive ou toxique.
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 septembre 2013, 12-20.157
Pour échapper à l’indemnisation, les employeurs doivent prouver le respect de l’obligation de sécurité
L’employeur est admis à s’exonérer de sa responsabilité s’il « justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail»
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 novembre 2015, 14-24.444
Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour (Ass. plén., 5 avril 2019, pourvoi n° 18-17.442; Soc. 25 novembre 2015, pourvoi n° 14-24.444, Bull. 2015, V, n° 234) que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail le premier dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige
Cass. Soc. 11 septembre 2019, n° 17-24.879 à 17-25.623
Les entreprises qui ne protègent pas leurs salariés peuvent-ils se voir poursuivre pour faute inexcusable ?
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité.
Le manquement à l’obligation ainsi mise à sa charge a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il incombe au salarié qui invoque la faute inexcusable de l’employeur d’en rapporter la preuve.
La Cour d’appel de Grenoble a récemment statué sur la situation d’une auxiliaire de vie sociale au sein d’une maison de retraite médicalisée (EHPAD) qui s’est trouvée en contact avec une résidente porteuse d’une tuberculose.
Pour déterminer si l’EHPAD pouvait avoir conscience du risque de contamination encouru par ses salariés du fait de la présence d’une résidente dans son établissement et de son état de santé, en application des articles 144 et suivants du code de procédure civile, les mesures d’instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer.
Pour la Cour d’appel de Grenoble, la manifestation de la vérité commandait, par application des dispositions susvisées d’ordonner avant dire droit à l’EHPAD de produire le dossier d’admission à de la résidente dans son intégralité y compris le volet médical et toutes annexes ou documents complémentaires joints à ce dossier.
Cour d’appel, Grenoble, Chambre sociale, 14 Mai 2019 – n° 17/02349
Il est ressorti du journal de transmissions qu’à l’issue de l’hospitalisation de la résidente, celle-ci a été ramenée à la maison de retraite le 20 janvier 2011 à 15h40. Il est notamment mentionné : « en attente des résultats de recherche de BK. Mise sous augmentin pdt 20j ».
Il en résulte que l’employeur avait dès ce moment connaissance de l’existence d’une suspicion de tuberculose laquelle a été confirmée le 21 janvier à 19h13.
Pour la Cour d’appel de Grenoble, s’agissant d’un établissement médicalisé, l’employeur en sa qualité de professionnel averti avait ou aurait dû avoir conscience de l’importance de cette information dès le 20 janvier 2011 à 15h40 et de la nécessité de prévenir le danger auquel se trouvaient exposés les salariés à savoir un risque de contamination au contact de la résidente.
Or, l’employeur qui se limite à affirmer avoir pris des mesures de protection des salariés au plus tôt à partir du 21 janvier en fin de journée dont il ne justifie du reste pas la réalité, a laissé en tout état de cause l’auxiliaire de vie sociale à ses tâches professionnelles au contact de la résidente les 20 et 21 janvier sans matériel de protection adapté et sans que des mesures d’information et d’isolement préventif de la résidente ne soient prises.
Au vu de ces éléments, la Cour d’appel de Grenoble a retenu que l’employeur a commis une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale.
Cour d’appel, Grenoble, Chambre sociale, 18 Février 2020 – n° 17/02350
Ces décisions de justice peuvent faire jurisprudence à l’égard des salariés d’EHPAD en situation avec des résidents suspectés COVID-19